Les grand-mères parfaites

Les grand-mères parfaites

« A l’intérieur de ces maisons, ouvertes au soleil, aux vents marins, à la rumeur de la mer, il y avait des pièces où nul ne pénétrait, hormis Ian et Roz, Tom et Lil »Les grand-mères parfaites

Je vous ai parlé il y a quelques temps d’un roman de Doris Lessing, « Vaincue par la brousse ». Et je peux bien vous avouer maintenant qu’il m’avait fascinée.

Depuis, « Perfect mothers » est sorti au cinéma et la bande annonce m’avait clairement intriguée… j’ai pris mes petits renseignements et découvert que c’était tout simplement une adaptation du roman « Les grands-mères » de la même auteure. Finalement, tous les chemins semblent mener à Doris Lessing. Et si par malheur je ne vous avais pas convaincus avec ma première critique, je vais me permettre de recommencer en vous parlant de ces fameuses grands-mères. Oublions le film pour le moment.

On retrouve ici l’intérêt marqué de Lessing pour des femmes qui s’accomplissent seules (c’est-à-dire sans hommes, ces derniers ne faisant que passer pour un mariage « quelconque » ou faire des enfants), vivent dans une bulle et s’affranchissent de la morale en place.

Le roman débute sur une scène faisant penser à un tableau : l’action est très lente, la contemplation prime. Deux femmes, belles et mûres, s’assoient avec leurs deux fils et leurs deux petites filles pour boire des jus de fruits et manger des sandwiches. Ils sont dans un bar au bord de la plage, il fait très chaud, ils sont blonds, beaux et bronzés, la nourriture qu’ils mangent trahit leur désir de faire perdurer leur bien être. Autour d’eux, ils attisent l’envie, font croire à la perfection d’une famille saine, soudée et sûre d’elle.

Une jeune femme petite et brune débarque alors, tenant dans sa main un paquet de lettres, l’air bouleversé. Ainsi s’achève le portrait idyllique pour pénétrer dans l’histoire d’une famille « élargie » dans laquelle deux meilleures amies se retrouvent à élever leurs fils seuls – chose qui les arrangent, puisque les maris ne pouvaient s’habituer à leur relation. Très vite, on découvre que derrière les apparences se cachent des secrets à la limite de la moralité : un quasi inceste, puisque après avoir élevé leur enfant et celui de l’autre comme si c’était également le leur, elles seront les premières à leur faire découvrir l’amour derrière les portes closes.

Le roman est court et véhicule une force incroyable par sa concision. La question de l’inceste est omniprésente puisque chaque fils considère l’amie de sa mère comme sa deuxième mère et inversement, même si aucun lien de sang ne les lie. Il n’est pourtant pas rare aujourd’hui de voir de jeunes hommes épris de femmes bien plus âgées (et encore moins des hommes avec des femmes plus jeunes). Ou se situe la limite puisque ce qu’ils font n’est pas légalement répréhensible ?

« A une table visiblement bien connue d’eux, ils déposèrent sacs, paréos et joujoux ; c’étaient des êtres soignés et resplendissants, comme tous ceux qui savent profiter du soleil. Ils s’installèrent- les jambes brunes et soyeuses des femmes négligemment terminées par des sandales, leurs mains que l’on devinait actives pour un temps au repos. »

Le récit se déroule comme dans un rêve : un paysage de vacances éternelles ou les protagonistes sont beaux et s’aiment plus que tout, comme des amis, comme une famille, comme des amants. Leur amour total et complet transcende le récit et le transforme en un poème, une ode au plaisir sans retenue – mais surtout sans une once de vulgarité et de trivialité. Les maris et les belles filles apparaissent et disparaissent, servent à maintenir les apparences dans un univers qui semble ne pas pouvoir être brisé puisque le cycle se répète : deux femmes ont été élevées quasiment ensemble, leurs deux fils deviennent meilleurs amis et les petites filles semblent prêtes à assurer la relève…

A noter tout de même, le changement de titre entre le livre et le film : à croire que l’autocensure à encore fait son œuvre. Pour ne pas choquer la morale ? S’attirer les foudres des critiques ? Essayer de trouver le plus large public pour le film ? Dans le roman, les grands-mères, tout en étant amoureuses du fils de l’autre, s’occupent de leurs petites filles… Dans le film, aucune trace de potentielles belles-filles… Comment est-il encore possible de censurer une œuvre d’art ? Qui plus est d’une auteure reconnue et appréciée puisque prix Nobel de littérature ?

 

Titre : Les Grands-mères

Auteure : Doris Lessing

Éditeur : Flammarion

ISBN : 9782080686565

 

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