Ma geekothèque idéale / Les récits du Vieux Royaume de Jean-Philippe Jaworski

Les récits du Vieux Royaume, c’est une série de deux livres écrits par le roliste français Jean-Philippe Jaworski.
Janua Vera, le premier tome, est un recueil de huit nouvelles tandis que la suite, Gagner la guerre, est un roman épique de 1000 pages. Les deux sont dissociables mais il serait pourtant dommage de se passer de la lecture de Janua Vera avant d’attaquer Gagner la guerre car l’une des nouvelles, Mauvaise Donne, en est le préambule.

récits du vieux royaume
Le Vieux Royaume est, comme son nom l’indique, un royaume ancien dont l’âge d’or est passé depuis longtemps. Subsistent ici des fiefs, là des villages barbares et enfin quelques cités de belle taille. Et de toutes ces cités, la plus remarquable, la plus typée, la plus glauque, la plus dangereuse et donc la plus attirante est Ciudalia. C’est une ville italienne de la Renaissance, comme un compromis entre Naples, Florence et Venise. Réseaux mafieux, assassins, luttes de pouvoir entre grandes familles…dans ce cloaque, notre héros est un assassin au caractère bien trempé, don Bienvenuto Gesufal. Tu connais le jeu Assassin’s Creed 2? C’est un peu cette ambiance et cette époque où l’Europe se développait dans tous les domaines (militaire, politique, artistique, culturel, philosophique).
Quand on fait sa connaissance dans Mauvaise Donne, il est chargé par sa guilde d’assassiner un héros de la nation. Il se retrouve emmêlé dans un complot politique bien cradingue dont il se sort plutôt pas mal puisque dans Gagner la Guerre, il est le bras droit, et l’homme des basses œuvres, du plus haut personnage de la République.

« Gagner une guerre c’est bien joli, mais quand il faut partager le butin entre les vainqueurs, et quand ces triomphateurs sont des nobles pourris d’orgueil et d’ambition, le coup de grâce infligé à l’ennemi n’est qu’un amuse-gueule. C’est la curée qui commence. On en vient à regretter les bonnes vieilles batailles rangées et les tueries codifiées selon l’art militaire. Désormais, pour rafler le pactole, c’est au sein de la famille qu’on sort les couteaux. »

Dans ce long roman qui commence par la fin (on a gagné), les cartes sont redistribuées toutes les 100 pages et il ne faut faire confiance à personne. C’est l’un des nombreux points communs entre Westeros et Ciudalia: la vie n’a pas beaucoup de prix dans le jeu des trônes. On pourrait aussi dire que dans l’un comme dans l’autre, c’est aux personnages de roublards qu’on tient le plus. Il y a en effet du Tyrion Lannister dans Bienvenuto, et un rien de Jaime, version manchot. Et dans l’un comme dans l’autre, la magie et les créatures fantastiques sont plutôt rares. Ce n’est pas la Terre du Milieu où les elfes, nains et hobbit sont omniprésents.
Mais dans la comparaison entre l’oeuvre fleuve de J.R.R Martin et le roman certes imposant mais en un seul tome de Jaworski, je vote pour le français. D’une part parce qu’il arrive à raconter toute son histoire d’un coup. Il ne va pas faire durer le plaisir pendant 20 ans ni prendre le risque de caner avant d’avoir écrit le mot fin. D’autre part parce qu’il a une plume incisive. La lecture est un vrai plaisir, du bon français bien écrit, un sens aigu du storytelling. Enfin, Jaworski ne cède pas à la tentation de multiplier les narrateurs ou les points de vue. Il n’y a qu’un héros, du début à la fin du livre, et lorsque ce dernier est tenté de passer la main pour offrir au lecteur un autre point de vue, il se ravise finalement.

« Idéalement, il faudrait que je vous rapporte les deux récits, en parallèle, en essayant de vous tenir en haleine avec un entrelacement narratif à la mode des romans de chevalerie. Il serait même de bon ton que je joue les modestes, que je rapporte brièvement mes grenouillages de seconde zone pour m’effacer derrière les prouesses d’un sorcier basané et de deux pillards d’Ouromagne. Ensuite je renouerais les fils des deux branches et vous vous diriez que, parsambleu! don Bienvenuto, c’est pas seulement une salle ordure, c’est aussi un sacré raconteur d’histoires! Vous lui pardonneriez presque. Ouais. Mais à vrai dire, j’en ai pas grand chose à battre de me faire pardonner. Je sais que c’est pas joli joli mais c’est comme ça. Et puis j’ai pas envie de me casser le trognon à vous lécher Le Conte du Moricaud. A vrai dire j’en ai plein les poulaines de cette confession. »

Un beau pied de nez à cette tendance à faire durer le plaisir en multipliant les narrateurs. Mais pour autant ledit plaisir n’est en rien gâché ; les péripéties de Bienvenuto sont suffisantes pour nous tenir en haleine jusqu’à la dernière page et on va même jusqu’à regretter que l’auteur n’ait pas donné de suite à ce très beau roman. Tiens d’ailleurs, rien qu’en écrivant cette chronique, j’ai envie de le relire….ça me démange. Je me rappelle quand je l’ai acheté, j’étais justement en train de lire GoT. J’ai ouvert le Jaworski pour voir un peu ce que ça annonçait et là, dès le premier paragraphe, j’ai su que j’allais aimer (la suite m’a donné raison)…

« Je n’ai jamais aimé la mer. Croyez-moi, les paltoquets qui se gargarisent sur la beauté des flots, ils n’ont jamais posé les pieds sur une galère. La mer, ça secoue comme une rosse mal débourrée, ça crache et ça gifle comme une catin acariâtre, ça se soulève et ça retombe comme un tombereau sur une ornière ; et c’est plus gras, c’est plus trouble et plus limoneux que le pot d’aisance de feu ma grand-maman. Beauté des horizons changeants et souffle du grand large? Foutaises! la mer, c’est votre cuite la plus calamiteuse, en pire et sans l’ivresse. »

Hein que ça donne envie? Soyons honnête, attaquer Gagner la guerre sans lire Mauvaise Donne, c’est un peu chaud car une grande partie de l’intrigue politique développée dans le roman s’est nouée dans la nouvelle. Si on veut une immersion dans l’histoire, il vaut donc mieux lire les deux dans l’ordre. Et puis Janua Vera est un très bon recueil. Vous mettez les deux dans votre sac de plage, ils vous tiendront en haleine pendant les vacances!

récits du vieux royaume

1 Comment

  • Bonbeur
    Bonbeur

    Très belle critique. Je suis fan de sf et un peu moins de fantasy et j ai adoré « gagner la guerre ». Tous les ingrédients d un excellent roman sont réunis.

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