Quelle est l’odeur de l’ennui ?

« C’est au soir des dimanches que ma mère revêt les lits de draps propres, draps dans lesquels durant tout le jour elle a emprisonné le vent, et j’aime plus que tout ces draps frais, l’hiver, quand la bise les a battus et raidis, parfois gelés, et qu’ils conservent de cette gifle un je ne sais quoi de neigeux et de glacial, rendant encore plus rêche la chair grenue et blanche de leur toile ancestrale. »51K6KwDYrtL._SL500_

Comment sait-on qu’un livre est nul à préférer se crever les yeux plutôt que d’en lire la moindre ligne supplémentaire ? C’est bien simple, trois éléments vous le feront comprendre : Dans un premier temps, vous n’arrivez pas à fixer votre attention. En gros, passé quelques lignes, des pensées commencent à vous assaillir comme le désir irrépressible de vous en griller une, votre maman que vous n’avez pas eu au téléphone depuis une semaine, cette course au supermarché parce que vous n’avez plus de shampoing… et vous avez beau chasser tout cela de votre esprit pour continuer votre lecture, ça recommence, recommence et recommence encore. Dans un second temps, le livre vous tombe des mains. Presque littéralement. On peut lire la répulsion sur votre visage, le dégoût emplit insidieusement votre bouche, vos bras semblent trouver pesant le bouquin alors que c’est seulement votre inconscient qui voudrait faire s’éloigner ce livre de vous. Enfin, alors que vous vous êtes démené contre vos envies de tout-sauf-ça, que vous vous êtes battus avec ce corps qui ne veut plus vous écouter vous persuader de l’intérêt du récit, vous découvrez que non, le livre ne vous parle pas. Il ne vous dit rien. Ou plutôt, il raconte des choses, sans aucun doute, puisqu’il est rempli de lettres, de mots et de phrases, qu’il y a des virgules et des points ici et là. Mais à vous, il ne vous dit rien, il ne semble parler qu’à lui-même, dans un monde d’où vous êtes et serez pour toujours exclu.

Laissez-moi donc vous parler un petit peu d’un livre dont j’ai longtemps rêvé tellement son auteur, Philippe Claudel, en parlait bien… Enseignant, écrivain et réalisateur (auteur des « Âmes grises » entre autres, il a également réalisé « Il y a longtemps que je t’aime » (…film fort déprimant avec Kristin Scott Thomas)), le bonhomme sait capter l’attention autour de son travail et naïve que je suis, je me suis laissée séduire.

L’idée, c’était d’écrire une autobiographie qui aurait pour structure non pas l’ordre chronologique de sa petite histoire, mais ce seraient des odeurs (ensuite classées par ordre alphabétique dans le livre) qui viendraient faire ressurgir des moments forts de l’enfance et de l’adolescence. Je voyais ça comme une multitude de madeleines (de Proust bien entendu) qui viendraient m’enivrer de doux parfums oubliés, avec de la nostalgie comme s’il en pleuvait et des mots voluptueux. Ce qui a fini de me faire céder, c’était cette idée de Claudel, que je partage, selon laquelle le passé se superpose sans cesse au présent. L’auteur sait de quoi il parle, lui qui, si attaché à sa Lorraine natale où il vit toujours, voit sans cesse des images du passé se greffer sur sa vie actuelle. Je me disais que c’était un chouette prisme à travers lequel voir le monde : nous tous quand nous sentons un parfum connu nous remémorons l’histoire de cette odeur. Il en est de même pour les lieux que nous avons connu il y a longtemps, voire des objets, le souvenir se superpose toujours au moment présent.

Philippe Claudel a fait ses preuves et a de bonnes idées. Mais pourquoi alors ce livre est-il si épouvantable à lire  me demandez-vous (suspendus à mes lèvres comme toujours) ? Et bien c’est simple. Parce qu’on s’en fout. On se fout de savoir qu’il aimait que sa grand-mère lui mette de l’ail avec sa viande, tout comme du fait que la première fille qu’il a embrassée (pauvre chéri) était moche et grosse. En réalité, ce qui fait d’un livre un bon livre, au-delà de l’intrigue qui n’est souvent et ne devrait être qu’un prétexte, c’est le putain de message universel qu’il est sensé transmettre. Le livre, peut importe qu’il soit un roman, une autobiographie ou encore un récit historique, doit nous  transmettre quelque chose. S’il ne parle pas, qu’il est stérile, je suis désolée, mais il n’a pas de raison d’être. Quand on s’appelle Philippe Claudel on peut, c’est sur, se permettre d’écrire un machin égocentrique au possible (dans le genre qui n’intéresse finalement que lui-même, voire, au mieux, ses proches) et être publié, parce que pour le coup, c’est le nom qui assure les ventes.

Moi, mes souvenirs, ma petite vie, mon histoire, mon nombril encore et toujours, ça devient rapidement pénible. Lecteurs, barrez-vous, sauf si vous cherchez un somnifère d’un genre nouveau.

 

Titre : Les parfums

Auteur : Philippe Claudel

Éditeur : Stock

ISBN : 978-2234073258

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