Raconte-moi une chanson : Heaven

Entité indispensable du quotidien, la chanson est à la fois un outil et un prétexte pour rêver, imaginer et s’évader. Chaque chanson crée un univers complexe dont seuls les fondements sont perceptibles. Une chanson, c’est une dichotomie entre l’histoire que l’on nous chante et celle que l’on se raconte. Aujourd’hui, permettez-moi de vous conter « Heaven » des Talking Heads.

C’est un endroit où tout le monde souhaite aller. On y va parce qu’on le sentiment que ce lieu est à la fois la récompense méritée après un travail acharné et qu’il permet d’agrémenter positivement une journée harassante. Au-dessus de la porte battante de l’entrée, un néon grésillant indique le nom de l’établissement en lettres capitales : H E A V E N. Passer les portes de ce bistrot, c’est être enfin en paix avec soi-même, avec le monde aussi peut-être. Enfin, ça doit dépendre des gens. Je ne sais pas trop. J’imagine.

Quoi qu’il en soit, il y a foule ici. L’ambiance chaleureuse du lieu ne saurait toutefois être altérée par les innombrables badauds. Je ne vois pas vraiment le visage de ces gens. Est-ce que je distingue seulement leurs yeux ? Je ne sais pas. Ce doit être à cause de la fumée de cigarette omniprésente. C’est sûrement ça. À vrai dire, je n’arrive pas à me concentrer sur autre chose que la chanson jouée par le groupe au fond du bar, dans un coin. Précisément à côté de la porte des toilettes. Les musiciens jouent cette chanson que j’aime tant. C’est ma préférée. Elle va se terminer. Mais, heureusement, ils la recommencent. Encore et encore. Ils vont la jouer toute la nuit.

J’ai compris que les autres sont réunis pour une fête. Je ne sais pas pour quelle occasion. Tout le monde a l’air concerné, comme si chacun était l’invité privilégié. Une soirée en l’honneur de tout le monde. De moi aussi ? Peut-être. Pourtant, je ne suis pas comme eux. Je suis singulièrement différent. Comme tout le monde.

Je me sens étourdi. Je crois reconnaître des visages que j’avais oubliés. Ce n’est pas important. Je suis bien. Mieux, je me sens grisé par l’atmosphère. Par les odeurs et la musique surtout. C’est diablement exaltant d’être ici ! Peut-être ne me suis-je jamais senti aussi bien. Je vois qu’il en est de même pour les autres. Nous sommes en train de vivre la soirée la plus prodigieuse qui soit, tous réunis dans cette alchimie sensorielle. Et ça recommence. Encore et encore.

Nos lèvres se séparent lorsque la chanson prend fin. Je suis en communion, avec toi, avec ce lieu, avec la chanson. En somme avec toutes les composantes de cet endroit. Avec toutes les composantes du monde. Le plus magnifique, c’est que je sais que nous allons vivre ce moment une nouvelle fois. Encore et encore. Nous vivons ces moments de bien-être intense chaque fois de la même façon. Ils sont toujours rigoureusement identiques et procurent systématiquement cette quintessence de la félicité. Un bonheur jamais rencontré, disponible à l’infini, encore et encore. Toujours de la même façon. Sans la moindre variation. Encore et encore.

Quel enfer.

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