Tenet / Métaphore de notre temps

Sorti en grandes pompes mercredi dernier, le nouveau film de Christopher Nolan gagne déjà à la revoyure.

Moins accessible qu’Inception, moins émouvant qu’Interstellar, Tenet reste un sacré tour de force et un divertissement de premier choix. En un sens, il prolonge l’abstraction entamée par le réalisateur avec Dunkerque. Pas de tête d’affiche immédiatement identifiable, et pour la première fois depuis Le Prestige, pas de Hans Zimmer à la B.O. et un tube au générique (après Thom Yorke, cette fois c’est Travis Scott).

Tel un tour de montagnes russes, le film gagne à être vécu libre de toute appréhension. Disons juste qu’il s’agit d’une course-poursuite entre le Protagoniste (John David Washington) et une organisation secrète qui semble avoir maîtrisé l’art de reculer dans le temps. Un tour du monde mené tambour battant, où tu auras à peine le temps de reprendre ton souffle. La narration succincte, voire aride, m’a rappelé Following, le tout premier film de Nolan où un écrivain se retrouve embarqué dans les sombres agissements de la personne qu’il suit. À son meilleur, Tenet évoque le fatalisme triomphant de Edge of Tomorrow (lisez plutôt son manga All You Need Is Kill) et surtout La Jetée, le court-métrage séminal de Chris Marker qui inspira le film et la série L’Armée des Douze Singes.

Attention : c’est la fête du spoil, juste après les Nuls et leur sketch culte à l’envers.

[SPOILERS] Le temps, c’est de l’argent

Les concepts de Nolan s’inscrivent dans la réalité claire-obscure de notre monde capitaliste. Si l’Inception nous embarquait dans la science des rêves, c’était pour démanteler la société d’un magnat de l’énergie. Ici, l’inversion du temps est contrôlée par un marchand d’armes. Le monde est devenu un « port-franc », un duty-free géant, une zone de non-droit où seul règne le pouvoir de la monnaie. Les valeurs humaines sont devenues des produits commercialisables, comme le souligne malicieusement le personnage de Michael Caine quand il déclare que les Anglais n’ont pas le monopole du chic, mais en sont « les actionnaires majoritaires ».

On efface tout, et on recommence

Étourdi par sa toute-puissance, et sans doute effrayé par le futur qu’il offre à son fils, le méchant Sator (Kenneth Branagh) accepte l’éventualité de mener le monde entier à sa perte, si cela lui permet d’avoir une nouvelle page blanche. On n’est pas loin du Thanos d’Avengers : Infinity War. Peu importent les sacrifices pour quelqu’un qui a grandi dans les ruines de l’ex-Union Soviétique. Dans le film, la marche du temps telle que nous la connaissons est symbolisée par la couleur rouge, tandis que son inverse est en bleu. Paradoxalement, ce nouveau chemin bleu agit comme la pilule bleue de Matrix qui laisse dans l’ignorance : en voulant tout refaire, on se condamne à répéter les mêmes erreurs. Le chemin du savoir est le rouge, c’est celui de l’expérience et de la vérité.Tenet Quand, à la moitié du film, le Protagoniste met son masque et sort dans un monde à l’envers, il est un peu nous tous : déconfiné, volontairement anonyme, privé de sens dans un monde déréglé. Face à cet univers qui ne tourne pas rond, il prend conscience qu’agir reste le meilleur des choix, même si tout semble déjà écrit. Finalement, en prenant le film à l’envers, la dernière séquence ne montre plus une mère réunie avec son fils, mais un public littéralement endormi face au combat qui se joue devant lui. Il ne tient qu’à nous de rétablir l’ordre des choses.

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