The Medium is the message : Pourquoi écrit-on sur le web?

En 1964, tandis que la Beatlemania déferle sur les Etats-Unis, un sociologue canadien inconnu du grand public prophétise la dissolution de la pensée linéaire et le passage de l’ère de Gutenberg à celle d’Edison dans un essai qui a fait date : Understanding the Media : The extension of Man

L’auteur, Marshall McLuhan estime que les « médias électriques » du XX° siècle (téléphone, radio, cinéma, télévision) mettront un terme à la tyrannie du texte sur notre mode de pensée. La philosophie de Mc Luhan était condensée en une phrase passée à la postérité: « The medium is the message » (le message c’est le medium) : ce qui fait évoluer notre perception n’est pas le contenu mais le contenant. Un concept que l’histoire contemporaine des mass média n’a pas démenti, bien au contraire.

Quarante cinq ans après Marshall McLuhan, c’est au tour de Nicholas Carr de faire un constat similaire concernant Internet et les NTIC. Carr s’est aperçu que depuis qu’il utilise intensément le net, sa manière de réfléchir, penser, lire, a évolué. L’utilisation d’internet éveille des zones spécifiques du cerveau mais au détriment d’autres zones : on ne lit pas sur internet comme dans un livre papier et comme notre cerveau est modifié par notre utilisation d’internet, notre rapport aux autres médias est indirectement atteint.

L’impact le plus direct est une érosion de la patience : on n’a plus envie de consacrer autant de temps à lire des livres puisqu’il est si facile d’accéder directement à l’information la plus pointue via une recherche Google. On n’a plus envie de lire un essai complet puisqu’il suffit de surfer pour accéder à la théorie mais aussi aux contre-théories, critiques etc…

Cette mutation qui est en train de tous nous atteindre et qui ne risque pas de s’inverser n’a pas que des effets positifs puisqu’il est scientifiquement prouvé que l’on profite moins d’un contenu lu sur internet que du même contenu lu sur papier : la concentration est moins intense, la mémorisation moins profonde.

L’auteur fonde ses analyses sur une histoire assez détaillée des expérimentation sur la plasticité du cerveau (modelable en profondeur même chez l’adulte). Chaque théorie est étayée par le résumé des expériences qui ont été faites pour les corroborer.

Même si les médias numériques sont appelés à fusionner peu à peu dans des supports commun (qui existent déjà : Smartphone, Télé/Internet, Ipad…), le développement des TIC n’annonce pas une disparition des supports traditionnels (le livre a survécu à l’avènement d’autres médias alors qu’on annonçait déjà au XIX° siècle qu’il ne survivrait pas au gramophone!)

Carr ne tire pas de conclusions sur les impacts de cette mutation : sachant qu’il n’y a pas de retour arrière, comment faire évoluer les contenus, les outils de travail etc…pour qu’ils répondent mieux aux attentes des hommes mutés. Car il est certain que les médias devront s’adapter ou devenir obsolètes.

pourquoi écrit'on sur le net

Un livre passionnant mais parfois un peu bavard. Il a le mérite de poser une question qui est devenue bien plus prégnante aujourd’hui qu’elle ne l’était en 2011 : pourquoi agissons-nous sur la toile ?  A quoi servent nos actions, qu’en retirons-nous?

C’est le billet que mon cher confrère Charles Chinasky a consacré aux sites qui pillent le travail des autres sur internet (La malhonnêteté sur internet) qui m’a remémoré ce livre et les questions qu’il suscite. Je ne suis ni un grand scientifique, ni un scientifique tout court. Je n’ai pas expérimenté ce que je vais t’annoncer sur une classe de cobayes, mais à mon avis, On écrit sur le web pour être lu. Que ça soit un tweet, un article, une humeur partagée sur facebook, on a envie que les gens interagissent, au minimum en lisant, idéalement en likant, et cerise sur le gâteau, en repartageant. Quand on écrit sur un blog, on a envie que les lecteurs commentent nos billets, on a envie de faire péter les scores de consultations. Et que celui qui n’écrit pas pour être lu me jette la première pierre. Si on n’écrit pas pour ça, on écrit sur les arbres, on fait des happenings dans la forêt de Fontainebleau ou on continue à tenir un journal intime qu’on cache sous son matelas.
Et donc, si on est prêt à tout pour être apprécié sur le web, on est parfois prêt à sacrifier notre intégrité, en piquant le travail des autres, ou en recopiant sans la modifier et sans un minimum de fact checking la jolie description que le gentil attaché de presse a concocté pour nous…mais en faisant ça, on oublie qu’au départ, si on a commencé à écrire sur le web, c’est parce qu’on aime écrire, qu’on aime partager…
De la même façon que la télé-réalité te fait croire que tout le monde peut devenir une star en baisant dans une piscine, internet te fait croire que tout le monde peut devenir une star en se faisant liker pour des choses dites, montrées ou évoquées. Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas honnête et ce n’est pas long-termiste. Il suffit de voir la pauvre australienne qui a craqué après s’être fabriqué une vie sur instagram et qui aujourd’hui bashe à tout va les marques qui l’ont fait vivre pendant deux ans. Il y a une certaine vanité à voir son travail apprécié, ses publications lues, partagées et likées, il y a une certaine vacuité quand on se complaît dans les conséquences en trichant sur les causes.

The Medium is the Message

L’interconnexion des réseaux, le système de recherche de récompense et les modes de consommation du web, ont fait muter nos usages. Désormais ce n’est plus le consommateur qui va à l’information, mais l’information qui va au consommateur. En d’autres termes, les gens ne vont plus voir les sites d’information, c’est l’information qui va à eux via le push appli ou les notifications sur les réseaux sociaux. Pour un producteur de contenu, il ne suffit plus de faire un joli billet avec une belle mise en page, des photos etc… il faut aussi passer un temps au moins équivalent à le promouvoir sur les réseaux sociaux les plus pertinents pour faire venir les lecteurs. Une mutation que n’avait pas vraiment prophétisée McLuhan puisqu’il parlait d’autre chose, mais avouez que cette petite phrase colle comme une seconde peau à notre quotidien digital!

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