WHISKY OR NOT WHISKY #20 / NAOMI ALDERMAN

Salué par l’auteure Margaret Atwood (The Handmaid’s Tale), Le Pouvoir de Naomi Alderman participe au grand renouveau du féminisme depuis l’affaire Weinstein et le hashtag « meetoo ». Paru aux éditions Calmann Lévy en début d’année, le roman dépeint une société où le matriarcat a fait de la gente masculine un « sexe faible ». Mais si « la peur a changé de camp », ce nouveau monde – qui s’éloigne de l’égalité hommes/femmes – est-il pour autant meilleur que l’ordre ancien dominé par le patriarcat ?

Aux quatre coins du monde, les femmes découvrent qu’elles détiennent le « pouvoir ». Du bout des doigts, elles peuvent infliger une douleur fulgurante – et même la mort (…) C’est ainsi que la quatrième de couverture du livre nous résume le pitch de l’auteure britannique Naomi Alderman.

Il était une fois un jour pas comme les autres. Un jour où les femmes, de plus en plus nombreuses (et peu à peu), se découvrent un don : au moyen de leurs mains, elles peuvent produire des étincelles et envoyer – telles des anguilles – des décharges électriques. Fortes de cette nouvelle compétence, les femmes ont alors l’occasion idéale de renverser l’ordre établi en électrocutant les hommes.

Petit à petit, nous suivons plus particulièrement le parcours de trois protagonistes féminins, personnages dont les fictions s’entrecroisent. Tout d’abord, il y a Roxy, adolescente londonienne, fille de mafieux, qui va tenter de traquer les assassins de sa mère. Il y a ensuite Allie, jeune américaine, qui va fonder une nouvelle religion en devenant prophète sous le pseudonyme de « Mère Eve ». Enfin, il y a Margot, maire d’une petite ville, qui va s’appuyer sur ce don pour organiser son ascension vers la gouvernance de son État.

Aux côtés de ces figures féminines, le lecteur averti suit également le parcours d’un protagoniste masculin du nom de Tunde. Ce dernier est journaliste. Il décide de couvrir la révolution féministe qui est en marche contre la domination masculine et virile. Tout commence notamment à Riyad en Arabie Saoudite ; capitale où les femmes voilées décident de se rebeller contre l’interdiction de conduire. La fiction rejoint alors une réalité géo-politique car, et pour information, l’Arabie Saoudite est classée 138ème sur 144 au classement du Forum économique mondial sur l’égalité hommes/femmes.

Tandis que les violeurs sont châtiés et les régimes phallocrates renversés, Roxy, Allie, Margot et Tunde incarnent plus que de simples personnages de fiction : ils deviennent symboliquement les piliers de notre société civile en représentant respectivement le crime, la politique, la religion et les médias.

Au delà d’être un simple manifeste sur le féminisme, la deuxième partie du roman ne prône pas tant la revanche des femmes sur des siècles dominés par le machisme et la misogynie masculine. A contrario, le livre prend une toute autre dimension en argumentant sur l’ivresse du pouvoir qui parvient à corrompre les individus.

NAOMI ALDERMANLe changement imaginé par Naomi Alderman n’aboutit pas à un équilibre des forces et à l’égalité des genres. Il vient placer les femmes au-dessus des hommes, si bien que les comportements autocrates finissent par se reproduire de manière inversée. L’écrivaine en profite notamment pour nous alerter sur le danger des extrêmes et sur la radicalité qui peut conduire à cautionner ce que l’on rejette en bloc. Comprenez : le féminisme radical, sans envie de consensus, peut conduire à envisager une société fasciste et totalitaire fondée sur des rapports de dominants et de dominés.

Mieux : et si, effectivement, la guerre des sexes était nécessaire à l’évolution positive de notre société ? Cette lutte continue et ce conflit permanent doivent perdurer dans le temps afin de tendre vers des rapports égalitaires.

Au final, l’écrivaine nous dépeint un monde où l’utopie d’une société plus équitable n’est pas possible dans les interactions entre les hommes et les femmes. Le propos est sombre, certes, mais il a le mérite d’être réaliste : la notion de pouvoir pervertit l’être humain au-delà des questions de genre. Quelque soit leur sexe, les gens abuseront de ce pouvoir ; simplement parce que cet abus fait partie intégrante de notre société où les inégalités n’ont de cesse de grandir.

C’est donc pour toutes ces questions que soulève Le Pouvoir que je vous recommande chaudement la lecture assidue et critique de ce roman d’anticipation. Naomi Alderman est une auteure brillante. Elle sait interroger le lecteur tout en prenant du recul sur des phénomènes qui envahissent notre quotidien (cf. le buzz « #balancetonporc »). Féministe, engagée et politiquement (in)correcte, Naomi Alderman trouvera facilement sa place sur votre étagère aux côtés de Viriginie Despentes, de Sarah Kane, de Leonora Miano ou encore de Margaret Atwood.

Tel un excellent spiritueux – dans une cave à whisky – que l’on ressort pour les grandes occasions…

J.M

Le Pouvoir de Naomi Alderman (éditions Calmann Lévy, Janvier 2018, traduit de l’anglais (Grande Bretagne) par Christine Barbaste)

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