WHISKY OR NOT WHISKY #28 / SHARP OBJECTS

A mi-chemin entre True Detective et Mind Hunter, les huit épisodes qui composent Sharp Objects s’imposent comme étant le thriller de l’été 2018. Produite par HBO, et réalisée par Jean-Marc Vallée (Big Little Lies), cette série nous transporte au cœur de l’Amérique profonde et de sa violence sociologique, loin des mégalopoles hyper-connectées. Son interprète principale, Amy Adams, y incarne un archétype féministe, une « anti-héroïne » qui brise le conformisme d’un genre réservé d’habitude aux protagonistes masculins.

L’été rimant généralement avec « désertification » culturelle, Sharp Objects fait figure d’exception dans un paysage calme en termes de sorties. Adaptée du roman éponyme de Gillian Flynn (à qui l’on doit l’écriture de Gone Girl), la série doit son titre aux pratiques très étranges de son héroïne, Camille.

En effet, les « objets tranchants » renvoient aux scalpels et autres lames de rasoir qui permettent au personnage principal de s’auto-mutiler. Camille se scarifie depuis sa plus prime jeunesse, en gravant à même sa peau des mots qui font sens dans son existence. De la même manière, Camille accorde une grande importance aux mots qu’elle choisit : sa profession n’est autre que journaliste.

Sharp Objects

Le pitch nous plonge au cœur du Missouri, dans la petite ville de Wind Gap. Deux adolescentes ont été retrouvées mortes récemment, et Camille est envoyée par son journal pour couvrir l’événement. Native de Wind Gap, Camille opère là un véritable retour aux sources, synonyme de plongée dans des souvenirs d’enfance douloureux. Elle revient notamment dans la demeure familiale où elle est accueillie froidement par sa mère.

Tout au long des huit épisodes, l’atmosphère est pesante tout comme l’étalonnage est glacial. Une ambiance « passéiste » règne, témoin d’une Amérique hors-temps et arriérée qui s’est littéralement arrêtée de vivre à l’aube de XXIème Siècle. On y ressent les influences d’un excellent Seven de David Fincher, où la population méfiante est représentative des lower middle-classes qui ont voté pour Trump en pleine période de crise économique.

Outre la réalisation léchée, Sharp Objects se démarque par le traitement non-conformiste réservé à ses protagonistes. Interprétée par une brillante Amy Adams, Camille fait figure « d’anti-héroïne » marginale, loin des standards actuels. Quadragénaire et célibataire sans enfants, elle roule dans une bagnole pourrie tandis que sa mère la prend pour une alcoolique invétérée. Face à la pression sociale d’une société qui va toujours plus vite, Camille semble avoir raté sa vie. Elle endosse parfaitement le rôle du looser qui est d’habitude réservé aux personnages masculins des films Noirs : la flasque de Vodka a remplacé la flasque de whisky du détective privé.

Intérieure et mystérieuse, Camille est un personnage complexe qui – à elle seule – vaut le coup d’œil. La façon qu’elle a de modifier ou de mutiler son corps témoigne de la grande violence psychologique du protagoniste.

Car, et effectivement, le propos de Sharp Objects est bien là. Tout est affaire de violence dans cette courte série de huit épisodes. Implicite et omniprésente, cette violence ne s’extériorise pas. Elle est latente, au gré du rythme de la narration qui se dilue patiemment.

En marge des retours très convoités de Orange Is The New Black (Netflix) ou encore de Better Call Saul (AMC), je ne peux que vous recommander Sharp Objects. Loin des séries spectaculaires aux cliffhanger sensationnels, cette véritable chronique sociale est à consommer sans modération. Elle attise notre curiosité et notre jugement sur la complexité de l’être-humain. Au regard implacable et sans concessions, elle creuse là ou ça fait mal. A l’instar de The Wire, Sharp Objects saisit avec justesse – et de manière « tranchante » – la réalité américaine des classes moyennes.

En soi, c’est un pur Maker’s Mark qui focalise notre point de vue sur une Amérique sans cesse flippante, vraie fabrique populiste à serial killers.

J.M

« Camille a cette obsession des mots, du verbe, elle les utilise dans son travail, pour se guérir, et en même temps pour se faire mal. C’est une contradiction, de toute beauté, de chercher là dans cet inconnu et d’essayer de comprendre ce qu’elle est, ce qu’elle fait. » (Jean-Marc Vallée)

 

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