WHISKY OR NOT WHISKY #7 / THE HANDMAID’S TALE

WHISKY…

Copieusement primée lors de la dernière cérémonie des Emmy Awards, la série The Handmaid’s Tale (La Servante Écarlate en français) nous plonge au cœur d’une société américaine dystopique et totalitaire au très faible taux de natalité. Les hommes possèdent le pouvoir, tandis que les femmes ont perdu leur droit fondamental à la citoyenneté active. Elles sont regroupées selon quatre castes sociales. Les Épouses (habillées en bleu) dominent la maison et sont mariées aux dirigeants. Les Martha (vêtues de gris) accomplissent les tâches ménagères en qualité de domestiques. Enfin, les Servantes (habillées d’une couleur rouge pourpre) ont un rôle strict et assigné : elles sont dédiées à la reproduction, sous la surveillance des Tantes (vêtues de marron) qui utilisent l’éducation par la peur.

C’est ainsi que le spectateur est immergé dans un futur proche, où la pollution atmosphérique – alliée à l’épidémie de maladies sexuellement transmissibles – ont conduit la majeure partie des hommes et des femmes à devenir stériles. Le contexte est le suivant : tout ce qui peut nuire à la fécondité est automatiquement réprimé. Les dissidents, les homosexuels et les prêtres catholiques sont systématiquement arrêtés et condamnés à la pendaison. Depuis l’arrivée au pouvoir d’une secte protestante et fondamentaliste – « Les Fils de Jacob » – les relations hommes/femmes obéissent à des lois rigides : les femmes n’ont plus le droit de travailler, ni d’être propriétaires ou encore de posséder de l’argent. Elles n’ont pas non plus le droit de lire dans ce que l’on appelle dorénavant La république de Gilead. Ce gouvernement a été instauré par le biais d’un Coup D’État qui a littéralement mis fin au Congrès, à la Cour Suprême et à la Maison Blanche.

L’action commence in medias res, alors que June (interprétée par Elisabeth Moss) tente de fuir une Police D’État dans la forêt. Elle tient par la main sa jeune fille que le nouvel état américain tente de lui enlever. Malheureusement, June est rattrapée par les policiers. Elle est alors emprisonnée pour devenir une Servante, et elle répondra désormais au prénom de DeFred. La première séquence de l’épisode 1 nous emmène ensuite, et effectivement, chez le commandant Fred Waterford.

 

Désormais, June sera au service « De Fred » Waterford. Elle devra porter son – ou ses – enfants.

THE HANDMAID'S TALEMais June/DeFred est le maillon contestataire de cette société autocrate. A sa manière, elle incarne une rebelle face à ce système où les « Yeux » surveillent les femmes. A l’image d’une Julia dans 1984 de Georges Orwell, elle ne souhaite pas réprimer se sentiments et obéir aveuglément. Elle veut de même retrouver sa fille Hannah qu’on lui a si injustement enlevé. La dictature est une maladie où le peuple est aphone. Ce n’est pas le cas de June qui refusera le silence malgré la répression violente.

Le seul échappatoire pour ces femmes : fuir illégalement au Canada, nouvelle terre de libertés.

Cette série est l’équivalent d’un bourbon exquis. Un scotch pur tout droit sorti du Kentucky, la contrée des meilleurs whiskys. Nous sommes loin des sitcom et autres soap opera qui nous font l’effet d’un Ballantine’s cheap et bas de gamme.

Tout d’abord, chacun des épisodes de la saison 1 bénéficie d’une réalisation soignée et d’une écriture léchée et méticuleuse. Les angles de prises de vue, le cadrage, l’étalonnage des teintes de couleur, les lumières… Nous sommes en face d’une image extrêmement classe, dont le grain visuel n’a rien à envier aux longs métrages de cinéma.

Le design sonore, quant à lui, est sublime et prenant : c’est tout un habillage musical qui envahit le spectateur et capte son attention. Les choix de BO sont également très bien trouvés et accompagnent la narration dramatique de manière subtile et entraînante.

THE HANDMAID'S TALE

De même, cette série est éminemment politique de par le genre auquel elle appartient : l’anticipation. Elle ne peut qu’éveiller l’esprit critique du spectateur et l’encourager à remettre en cause sa propre société, sa propre réalité et son propre présent. Le monde totalitaire qui est dépeint dans The Handmaid’s Tale est très proche de nous, voire à nos portes. Avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, la lente installation d’une société autocrate et patriarcale fait son chemin aux États-Unis. Le contrôle et la gouvernance par la peur sont si représentatifs d’un régime comme celui de la Corée du Nord…

Enfin, cette série dresse le portrait d’une société qui est la conséquence néfaste du peu d’intérêt que nous avons accordé à la sauvegarde de notre environnement naturel : les hommes et les femmes ont perdu leur fertilité dans un monde qui a beaucoup trop souffert des gaz à effets de serre.

Science-fiction ? Je n’en suis pas persuadé…

… NOT WHISKY

En effet, plusieurs questions majeures se posent au XXIème Siècle : pourquoi ne tirons-nous pas de leçons du passé ? Pourquoi ne tirons-nous pas non plus de leçons après avoir lu des ouvrages d’anticipation ? Pourquoi, enfin, ne savons-nous pas dépasser le constat des œuvres de science-fiction et d’anticipation afin de changer et améliorer notre monde ?

En 1948, Georges Orwell (à qui nous devons également La ferme des animaux, histoire d’une insurrection populaire) publie le très célèbre 1984. Le roman nous plonge au cœur d’une société industrielle aseptisée, déshumanisée et normative. Un régime totalitaire s’est installé, et Big Brother is watching you… Chaque être humain est surveillé, tandis que tout comportement subversif est automatiquement puni. Parmi ces êtres qui ont perdu leur âme et sont devenues de véritables machines du taylorisme, Winston – aidé de Julia – décidera de se rebeller contre ce système oppressant…

Lorsque 1984 est sorti, nous étions tout juste sortis de la seconde guerre mondiale. Ainsi, le monde avait déjà expérimenté le totalitarisme et les dictatures, entre le nazisme et le stalinisme. Le livre sonnait alors comme une fiévreuse piqure de rappel : maintenant que nous avons expérimenté les dérives de gouvernements nationalistes, voici ce qui pourrait arriver dans un futur proche…

Pourtant, le monde n’a tiré aucune leçon de 1984, alors que le propre de l’Art et de la culture sont d’être critiques et politiques. La littérature d’anticipation a pour vocation d’être visionnaire et de tirer d’incisives sonnettes d’alarmes.

Comment expliquer que Pinochet soit arrivé au pouvoir en 1974 ? Comment expliquer la répression de la dynastie « Kim » en Corée du Nord ? Comment concevoir que Kim-Jong Un ou encore Poutine se voient octroyer les pleins pouvoirs ? Les chefs totalitaires ont été – et sont encore – nombreux à arriver à la tête de puissances économiques bien après la seconde guerre mondiale. Pourtant, Orwell nous avait averti…

 

En 1932 (oui, en 1932…) paraissait Le Meilleur des Mondes de Aldous Huxley.

Là encore, l’auteur était visionnaire : en l’an 632 de Notre Ford, la reproduction sexuée a disparu. Les individus sont issus de la fécondation in vitro ; et les fœtus grandissent dans des flacons selon une classe sociale qui leur est attribuée dès lors qu’ils voient le jour. Les traitements que subissent les embryons au cours de leur développement déterminent leurs futurs goûts, aptitudes et comportements… En accord avec leur future position dans la hiérarchie sociale. Ainsi, les embryons des castes inférieures reçoivent une dose d’alcool qui entrave leur développement, les réduisant à la taille d’avortons. Cette technique permet alors de résoudre les problèmes liés au marché du travail, cela en produisant un nombre précis de personnes pour chaque fonction de la société, nombres déterminés par le service de prédestination.

Le Meilleur des Mondes a été librement adapté au cinéma, notamment par le biais du film Bienvenue à Gattaca

Près de soixante dix ans avant la fin du XXème Siècle, Aldous Huxley alerte nos sociétés des dangers du clonage et des méfaits du fordisme pour les futures crises pétrolières et industrielles. Il dénonce sociologiquement un constat qui dure depuis des décennies : dès l’enfance, notre position sociale prédestine notre avenir ; et les inégalités sociales ne cesseront de s’accroître. Les enfants d’ouvriers feront partie des classes populaires et moyennes ; la haute bourgeoisie – plus érudite – pourra occuper les postes réservés à l’élite…

Interrogeons-nous sur le simple fait que nos dirigeant(e)s sont tous et toutes issu(e)s des classes sociales relativement aisées. Ces personnages politiques, qui représentent pourtant une minorité d’individus, pensent pour la masse et dirigent notre monde. Ce n’est pas demain que Philippe Poutou, homme du peuple et des « bas fonds », sera amené à gagner une campagne présidentielle.

C’est donc sans scrupule et aucune pudeur (ni censure) que je vous recommande la littérature d’anticipation, au même titre que la série dystopique The Handmaid’s Tale. Je reste convaincu que la révolte des masses populaires passera par la culture littéraire et artistique de tous, pour tous et par tous. Dans le cas de La Servante Écarlate, j’espère que la première saison alertera au moins les consciences sur la crise des migrants.

En attendant, je continue à refaire le monde à travers ma chronique… Mais surtout au comptoir, accompagné d’un succulent Lagavulin.

J.M.

 

 

 

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