WHISKY OR NOT WHISKY #4 / 120 battements par minute

120 battements par minute

WHISKY…

Au delà d’une rentrée sociale chargée, entre réforme du Code du Travail et baisse des APL, le mois de Septembre 2017 est l’occasion de découvrir l’incipit du palmarès des films primés à Cannes. 120 battements par minute de Robert Campillo est à la fois le Whisky et le Not Whisky que je vous invite à découvrir puisqu’il n’est autre que le Grand Prix du Jury. Sur ces points forts, une perle de Four Roses et une larme de Lagavulin. Dans ces temps faibles, un J§B bon marché que l’on dilue avec du Cola…

Féru de cinéma engagé, mon impatience était grandissante et mes attentes conséquentes quant à ce long métrage. Par ailleurs, je préfère en général les « petits prix » – voire les films non primés – des festivals de cinéma. A titre d’exemple, et l’an dernier, j’avais été totalement sublimé par le film Divines de Houda Benyamina, splendide vainqueur de la Caméra d’Or (soit du premier film) : le pitch nous plongeait au cœur d’une banlieue avec un regard vif et sans concessions. Je me souviens alors avoir été envahi par un profond sentiment d’injustice et une envie soudaine de révolte. Or, et à mon sens, c’est ici tout le sens politiquement humain que le cinéma se doit de soulever : tout film est politique et doit aiguiser notre esprit critique face à nos sociétés qui ne cessent de voir grandir les inégalités.

120 battements par minute nous replonge au début des années 90 sous le deuxième mandat du président socialiste François Mitterrand. C’est la grande époque de la dance music et le début d’une grande épidémie, celle du SIDA. A l’époque, de nombreux amalgames sont faits sur ce fléau ; et la maladie est essentiellement reliée aux communautés homosexuelles, aux prostituées et aux prisons.

C’est dans ce contexte que l’association Act Up voit le jour en 1989 : un mouvement militant et activiste aux méthodes et interventions radicales. Au risque de choquer les mœurs morales et l’opinion publique, Act Up multiplie les actions « coup de poing » dans le but d’alerter les consciences sur le réel danger – meurtrier – des IST ; et sur le manque de traitements médicaux. Organisé en commissions, le collectif Act Up prend la défense des oubliés, des malades considérés « en marge » des classes sociales normées : elle soutient les gays, les putes et les repris de justice qui sont atteints du SIDA.

120 battements par minute retrace donc les tranches de vie de quelques militants emblématiques de cette association. Entre images d’archive et pure fiction, le spectateur est le témoin privilégié des revendications, des actions et des réunions d’Act Up. Au fil des séquences, les protagonistes luttent, se déchirent, s’aiment et survivent. Certains meurent dans l’indifférence la plus détestable d’un gouvernement sourd et de grands laboratoires pharmaceutiques muets.

120 battements par minuteDans sa veine militante et son angle de lecture politique, le film est brillamment réussi : nous nous prenons au jeu des réunions hebdomadaires d’Act Up avec une envie fulgurante de participer aux nombreux débats qui sont posés. Pourtant, il s’agit là de la partie qui aurait pu s’avérer étouffante (et très vite) : les plans sont relativement serrés et les séquences des AG filmées dans le huis-clos d’un petit amphi de fac.

De la même manière, et bien que sévèrement violentes, certaines actions « choc » des militants nous font sourire et parfois rire dans leur traitement. Cela permet alors de dédramatiser un contexte lourd (celui des « sidaïques ») tout en maintenant le sérieux d’un propos. La séquence d’ouverture, notamment, fait office de debrief où nous revoyons en Flash Back une intervention d’Act Up par le biais des points de vue radicalement différents de ces participants.

En bref : c’est dans son côté devoir de mémoire et dans son message de lutte que le film est efficace. Le cinéma est – et doit rester – une manière de se souvenir de ceux qui ont grandement fait avancer notre connaissance de cette maladie tout en mettant en lumière que le SIDA touche tout le monde. Et cela quelque soient les méthodes pour y parvenir : poches de sang jetées sur les baies vitrées des laboratoires, défilés à grands renforts de croix tombales dans les rues, affichage sauvage et slogans morbides…

… NOT WHISKY

Toutefois, 120 battements par minute est également un film dont le rythme est inégal et la lourdeur forcée. Sa principale qualité, celle d’être engagée, peut s’avérer être son pire défaut. Derrière un message qui se perd dans l’action militante, le film ne finit-il pas par stigmatiser une « communauté » qu’il veut mettre en avant ?

L’action est effectivement centrée sur le phénomène Act Up, et le parti-pris de Robert Campillo est bien de rendre hommage à une association. Cependant, quid de l’homophobie et des autres mouvements tels AIDES ? Quid du message fort et primordial qui est de signaler que le SIDA existe encore ? Quid des lesbiennes, du transgenre et des gays qui ne veulent pas s’engager ou ne font pas partie de cette mouvance ?

De mon point de vue, la symbolique d’Act Up serait d’autant plus signifiante si elle était avant tout un outil, un moyen de réfléchir sur un concept de plus grande envergure. Il arrive ce moment où – paradoxalement – le message du film est desservi par la place prépondérante que l’engagement activiste occupe.

Je parlais plus haut de devoir de mémoire : tout film est politique et doit éveiller nos consciences. En abordant un sujet aussi grave que l’épidémie du SIDA, il me paraît incontournable d’alerter les nouvelles générations sur la genèse de cette maladie. Nos jeunes adolescents – ou nos actuels 15-25 ans – doivent prendre conscience des avancées médicales qui ont été faites pour combattre les IST. Ils doivent de même être correctement informés pour éviter les légendes urbaines sur le SIDA. Ils se doivent d’avoir à l’esprit que nous revenons de loin par delà « nos » combats contre cette maladie.

Act Up est notamment à l’origine des copieuses campagnes de prévention que nous avons maintenant à disposition dans nos plannings familiaux. C’est bien cela qu’il nous faut retenir plus que les tensions entre activistes lorsqu’ils débattent des moyens d’intervention et des méthodes d’action.

En termes de rythme, la fin (que je ne « spoilerai » pas) est sombre, lourde et longue. Bien qu’elle demeure nécessaire, cette même fin est brutale et nous laisse une grande part de frustration. Il manque clairement un message à caractère informatif comprenant des chiffres et des données historiques sur le SIDA. De même – et pour le spectateur qui se serait identifié aux personnages – il manque cruellement des données biographiques sur les tranches de vie que nous accompagnons pendant plus de deux heures.

 

En fin de compte, il arrive ce moment donné où les intentions du réalisateur nous échappent et où nous avons ce sentiment que le film ne fait plus de choix clair et lisible quant au genre qu’il aborde. 120 battements par minute est-il un film didactique et politique ? Est-il une romance sentimentale entre couples homosexuels et sur une bande d’amis militants ?

Globalement, 120 battements par minute est donc un long métrage « techno » plutôt bien fait et « coup de poing » dans l’ensemble. Souvent sombre, parfois froide, l’intrigue nous transporte malgré tout à travers les années 90 et les manifestations sauvages ou pacifistes d’Act Up.

Le film nous laisse un goût amer, digne d’un whisky convenable, et certaines âmes sensibles verseront leur petite larme à la toute fin de ce 35 mm. Cependant, la narration souffre de certaines longueurs et le métrage aurait pu s’écourter d’une bonne demi-heure (au bas mot).

Un film qui reste à conseiller, doté d’une solide pédagogie préventive sur le sujet du SIDA.

Et pour conclure sur une note digestive, plusieurs questions fondamentales : l’engagement militant passe-t-il forcément par l’adhésion à une association et par des actions radicales ? Peut-on s’attaquer à Act Up, dont les valeurs restent humanistes, quand les méthodes d’intervention restent violentes et dans la dégradation pure et simple ? La violence est-elle vectrice de transformation sociale et de changement des mentalités par le biais de la révolte face au « système » ?

Autant de questions qui, une nouvelle fois, méritent un excellent Aberlour…

J.M.

120 battements par minute de Robert Campillo (actuellement en salle)

 

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