Asterios Polyp : subtilité et inventivité

Asterios-Polyp

Qu’est-ce qu’un roman graphique ? L’appellation est parfois perçue comme pompeuse, celle d’auteurs de BD qui n’assument pas de ne faire « que » de la BD. Je préfère en considérer l’origine : les bandes dessinées sortent souvent par épisodes (au US et au Japon) et en tomes (en Europe), il fallait trouver une appellation pour les one-shots, les histoires qui tiennent toutes seules, qui ne font pas l’objet de prépublication, qui forment un tout. Wanted est un roman graphique pour moi, ce n’est pas une série. Et on ne peut pas dire que Wanted soit très pompeux et n’assume pas d’être de la BD. Le roman graphique que je veux vous présenter est d’un autre genre, le genre qui est moins attractif pour le grand public, mais si le grand public daignait mettre son nez dedans, il ne serait pas déçu du voyage.

Asterios Polyp est une BD qui a fait un peu l’actu ces derniers temps. Primé au Grand Prix d’Angoulême alors qu’on ne l’attendait pas vraiment, il le mérite amplement.

Asterios Polyp, prof d’architecture qui n’a jamais rien construit, suffisant et imbu de lui-même, a tout perdu, sa femme, sa place. Un incendie se déclare même dans son immeuble, ce qui lui donne semble-t-il une nouvelle impulsion. Il quitte donc NYC, part aussi loin qu’il peut avec le peu de dollars qu’il a en poche, se fait engager par un homme simple et peu culturationné pour réparer des voitures. Le récit alterne scène au présent et flash-backs. Rien que de très classique me dires-vous, alors pourquoi avoir invoqué les mots subtilité et inventivité ?

Tout est dans le traitement. Je connaissais David Mazuchelli car c’est lui qui a dessiné le très bon Batman : Year One, sur un scénario de Frank Miller. Ici, il prouve deux choses : qui est capable de se réinventer complètement, d’adapter son style graphique pour qu’il serve au mieux l’histoire (le Batman était dessiné de façon réaliste et expressioniste, ici on peut parler de graphisme : c’est dépouillé, en perspective cavalière la plupart du temps, et globalement très « 2D » comme ambiance), et deuxièmement, qu’il est capable d’en écrire une, d’histoire. Une histoire qui me parle, celle d’un homme égocentré mais pas antipathique non plus, qui doit finalement faire preuve d’humilité. Les thèmes traités sont accompagnés de façon très subtile par le dessin : pour parler de la façon différente dont les gens perçoivent le monde qui les entoure, Mazuchelli adopte un style d’encrage et de dessin différent pour chaque personnage. Le jeu sur les couleurs est également très intéressant, il s’intègre naturellement et pas la peine d’avoir un Master en analyse d’image pour saisir leur sens. L’histoire est très découpée, les chapitres font quelques pages. Les personnages sont tous très attendrissants, pas de méchant ou de gentil ici, juste des êtres humains.

La subtilité, c’est ça. L’inventivité suit naturellement.

Alors oui, pour une fois, ne crachons pas sur Angoulême et lisons de la bande dessinée de qualité.

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