Dupont Lajoie, portrait d’un méchant con

« Les cons ça ose tout. C’est d’ailleurs à ça qu’on les reconnait »

Et en matière de connerie et d’oser tout, il y en a un qui se pose là, c’est Georges Lajoie. Et puis il a une chance pas croyable, parce qu’il arrive à faire glisser tout ça comme un pet sur une toile cirée et à se sortir de la merde noire dans laquelle il s’est fourrée avec une maestria qui force le respect. Bon, à la fin, il sera quand même bien puni.

dupont lajoie
Les vacances avaient pourtant bien commencé, le 1er août au matin, on avait chargé la télé à l’arrière de la 504, papa au volant, casquette Paul Ricard vissé au crâne, maman à ses côtés, le fiston derrière. Sur la route, il y a un connard de teuton qui fumait son cigare dans la voiture d’à côté : « les jours comme ça on devrait interdire aux Allemands de rouler ». Et puis on a passé un bel accident avec des morts. Maman a voulu prendre en photo, mais on n’a pas trouvé l’appareil à temps : « dommage que j’aie pas l’appareil, ça aurait fait une belle photo ». Après on s’est traîné dans un petit village de Provence, cul à cul derrière tous ces cons avec leur caravane : « c’est joli ici, et puis pour les mômes c’est drôlement bon pour les poumons, mais l’hiver, qu’est-ce qu’ils doivent se faire chier ». Et enfin on arrive au camping, on retrouve les copains (Colin, bon vivant jovial et Schumacher, huissier alsacien coincé du cul, leurs femmes à l’avenant). On sort le Ricard, les charcuteries, on échange encore quelques banalités….et puis on parle du nouveau voisin, un Italien qui fait des chantiers dans le coin et fait travailler des arabes qui sont pas très efficaces : « ah ben ça, je veux bien vous croire Monsieur Colin, si vous parlez des arabes et du travail, ça fait deux »… la conversation est interrompue par l’arrivée de la fille Colin, Brigitte, dont la petite poitrine adolescente met la bave aux lèvres du père Lajoie…

dupont lajoieLe lendemain, on retrouve tout le populo du camping entassé sur une plage triangulaire coincée entre un chantier, un bras de mer et la nationale. Sur des serviettes à touche-touche, on poursuit la scène de la veille avec les mêmes lieux communs, les mêmes remarques racistes et les mêmes regards concupiscents de Carmet sur la jeune et belle Brigitte (une Isabelle Huppert tout aussi choucarde que dans les Valseuses, mais plus allumeuse que délurée). Le temps s’écoule paisiblement mais la cohabitation avec les ouvriers algériens d’un chantier voisin fait des étincelles, on se castagne en boîte : « si on les laissait faire, ils nous marcheraient sur la gueule, les bicots », la police intervient : « décidément si vous êtes pas surveillés, ça finit mal », embarque les arabes… on sent une tension larvée, une haine imbécile, infondée, reposant sur l’ignorance et la peur de l’autre. Mais à moins d’un drame, on en reste aux mots et aux postures. C’est la même tension que dans Les Chiens de paille, Do the Right Thing ou L’Été meurtrier, quelque chose d’inéluctable dont les protagonistes n’ont pas conscience mais qui apparaît comme une évidence pour le spectateur.

Le drame

Le 4 août, c’est la fête au village, le célèbre Leon Tartafione (Jean-Pierre Marielle campant un Léon Zitrone plus vrai que nature, mais bien plus sexy) vient animer les jeux intercamping, une série d’épreuves sportivo-humiliantes (mais sans vachette) ponctuées de numéros de majorette et de flonflons de la fanfare du village. La scène de jeux, avec Marielle qui accumule les citations comme on enfile des perles, les plans sur les jeux et les interludes de majorette en scie est un grand moment de cinéma. On a envie de crier grâce, de passer à autre chose. Et c’est pareil pour l’ami Lajoie, lui aussi il s’éloigne de la fête et va prendre l’air dans les roseaux. Il tombe sur la petite Brigitte, essaye de la sauter, et dans la lutte, lui brise la nuque. Mais le trouble est très passager et le bon gars prend la fille de son ami sur l’épaule et va la balancer sur un tas d’ordure non loin du bidonville des algériens.

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Évidemment on trouve le corps, la fête est finie, Tartafione tente un numéro de charity business face caméra en allant soutenir la famille éplorée, il est chassé par l’arrivée du commissaire de police, un Jean Bouise magistral et désabusé qui renvoie chacun chez soi et annonce que justice sera faite. Il va bien sûr interroger les arabes présumés coupables, mais n’arrête personne faute de preuve. Ce qui n’est pas du goût des campeurs, dont la haine est attisée par le discours enflammé d’un ancien du djebel qui « sait ce que c’est ces mecs là, ils tuent rien que pour le plaisir, si on les laisse faire, une môme ils sont capables d’en tuer une tous les soirs » (Victor Lanoux, formidable, comme d’habitude. De toute façon, un grand acteur reste un grand acteur, même dans Louis la Brocante, ce mec est génial). Il en rajoute : « on va laisser les bougnoules s’en tirer tranquillement, et s’ils se tirent, pour les retrouver chapeau, vu qu’ils ont tous la même gueule ». On s’arme de piquets de tente, manches de pioches et rondins pour aller casser de l’arabe. Une tentative de fuite est prise pour un aveu et on a bien vite faite de butter la racaille à grand coup de moellon dans la tronche. Puis ce petit monde retourne chez soi, un peu hébété mais manifestement pas plus choqué que ça.
Heureusement pour ces bons pères de famille, l’État craint un embrasement et la police a vite fait de trouver dans le mort un coupable idéal et d’étouffer l’affaire. Seulement personne n’est vraiment dupe et cette vilaine affaire met fin aux vacances. Chacun se sépare et rentre chez soi.
Je ne vais pas te teaser la fin, même si ce n’est pas Usual Suspect, c’est bien de laisser planer un peu de mystère…

Ce qui est magnifique dans ce film d’Yves Boisset, c’est cette mise en scène qui arrive à faire ressortir le pire de chaque protagoniste. La première partie, jusqu’au viol, n’est qu’une succession de lieux communs, comme si les dialogues avaient été pompés dans l’almanach Vermot. Les sourires sont de sortie mais le feu gronde en-dessous. Le viol et le meurtre font voler tout cela en éclat, la suite est ce qu’elle est. Une belle leçon, un film tout aussi dérangeant que le récent Un Français, il brille aussi par son casting. Carmet, Tornade, Garcin, Villeret, Marielle, Castel… plutôt habitués aux comédies ou aux films plus légers, ce choix de comédiens rehausse encore la noirceur du propos. Cette idée qu’un Dupont Lajoie peut se cacher en chacun d’entre nous… ce film n’est pas la comédie de l’été, mais c’est quand même un grand film. Tu peux d’ailleurs le voir en intégralité sur YouTube.

2 commentaires

  • lemoine
    lemoine

    « Ce qui est magnifique dans ce film d’Yves Robert » (??)… c’est qu’il est d’Yves BOISSET 😉

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    • Hank
      Hank

      Oups, merci pour la vigilante remarque. On corrige tout de suite cette énorme bourde.

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