Chronique d’un Toubab n°3: L’alcoolisme exotique

Alors que l’avion amorce une longue montée vers le ciel et l’Europe, Dakar dans la nuit apparaît une dernière fois. « C’est pas demain la veille que je vais y refoutre les pieds », me dis-je. Alors je m’emplis de toutes les lumières qui encadrent ces quartiers où les délestages sévissent encore. Le « Monument de la Renaissance africaine » surplombant la presqu’île sera la dernière image africaine que j’emporte. « Bof, pensais-je, c’est vraiment très laid ».

Je pars comme j’ai vécu, c’est-à-dire de nuit. Les fêtes dakaroises, il est temps que je vous en parle. Le panel qui s’offre à moi est large et confus. Dois-je vous confesser que je n’en garde que des souvenirs disparates, perdus dans quelques volutes anisées ? Ainsi, nous nous arrêterons à un de mes derniers week-ends dans la capitale. Un des plus énervés.

Tout commence, à notre habitude, un vendredi matin (vers 15h). Nous avions décidé la veille de ne pas trop nous charger, mon acolyte et moi-même. Immuablement fidèles à la routine de l’expat (devrais-je écrire de colon ?), nous étions allés picoler un ou deux mojitos chez Charlie, juste en face du Casino de la presqu’île du Cap-Vert. C’est à deux pas de la luxueuse maison de mon âme damnée, Ange-Léonie1, corse de son état et amateur de bonnes choses. Charlie, ce serait un peu le Kaboul Kitchen de Dakar. Rendez-vous d’expatriés bourrés de pognon qui leur brûle les poches, ils viennent profiter d’un certain isolement ; une belle piscine y permet d’heureuses rencontres. Et c’est en voisin que nous y avons passé nombre de soirées et de journées consacrées à amadouer nos gueules de bois respectives. Le patron est un ami, certaines consommations sont pour lui. Je le concède, j’aime bien ce bar. Mais, donc, ce soir, nous étions presque sobres lorsque nous quittons la place. Gros week-end en perspective et un bon cavalier ménage sa monture, etc.

Vendredi, 15h, j’appelle Ange-Léonie, qui roucoulait avec sa meuf fraîchement débarquée de Paris. « Tu baisais-pas j’espère ? ai-je dû dire.

– Si, aurait-il pu me répondre, chaud lapin comme il est.

– Alors, léger ce soir, faut pas trop se charger.

– Oh la non, confirme-t-il, demain ça va être la bringue. Rendez-vous à Point E, à l’Ortolan, il ont une offre sur le whisky.

– Tout le monde y sera ?

– Ouep

– Ok, à toute »

Après avoir noté l’excellence de ce réaliste dialogue, quelques explications devraient vous paraître nécessaires. Point E – googler si besoin – c’est le quartier des belles bâtisses de maître. L’ancien président, Wade le bâtisseur, y possède un palais impressionnant. C’est calme et il y fait bon vivre. Perdu dans une sombre ruelle à deux pas de la pâtisserie des ambassades, se trouve l’Ortolan. Vous qui rêvez de dépaysement et d’exotisme, sautez un paragraphe, car dès que vous y foutez les pieds, bienvenue en France. C’est le genre de tripot dans lequel on s’arrête par hasard sur la route d’Arras à Roubaix. Comptoir dégueulasse, bouteille de Suze et patron fervent supporter de l’OM. Mais, dans une arrière-cour à l’abri des regards, une terrasse des plus agréables où tous les copains sont là. On a deux whiskys bien servis pour le prix d’un, des assiettes de charcutailles et du bon fromage de chez nous. Pour vous dire si la vie est dure. Bref, on picole.

Quand le bar ferme, la plupart des protagonistes de ce post sont tous bien amochés : Ange-Léonie, sa gonze, Marcel et sa bourgeoise Juliette, Hermione et sa colloque Astrid (si je ne connaissais pas personnellement son mec, elles auraient pu en être ces deux coquines là), Toto et enfin Ange-Léonie AKA Ange-Léonie corse n°2 (à ne pas confondre avec le premier), dit du « Casino ». Ah la mafia corse et l’Afrique, on nage en plein cliché. Tous ces joyeux lurons ont été les principaux responsables de ma cirrhose pas très haram que j’ai dû choper là-bas.

Marcel, qui a déjà dû perdre plusieurs millions de francs CFA au casino, propose sans surprise un poker de fin de soirée chez Hermione. « C’est à deux pas, allez allez on va perdre de l’argent ! ».

Bon, le poker, c’est sympa, mais ceux qui perdent dans les premiers, c’est-à-dire moi en général, s’emmerdent franchement et picolent donc comme des trous pour faire passer le temps. Sur les coups de 5h, l’assemblée se quitte en titubant. Marcel et moi allons perdre nos derniers francs au black jack du Terroubi, un des grands complexes hôteliers de luxe de la ville. Le soleil est déjà bien levé lorsqu’enfin je m’endors.

Le réveil du lendemain est des plus nauséeux. Le Black whisky, infâme breuvage de contrebande, réveille des milliers de petits lutins qui se décident joyeusement à creuser dans mon cerveau ramolli de longues galeries à grands renforts de dynamites. De bonne facture que je suis, j’avais promis entre deux verres à l’amie d’Ange-Léonie du Casino du Cap-vert, de l’emmener faire un tour au marché de Simbédioune, vaste blague touristique, où l’on peut acheter de la merde dite « artisanale » à vil prix. Puis au marché au poisson du même nom, plus authentique et enfin une petite bière au Djoloff, ma cantine. Ange-Léonie nous y retrouve.

La flag, au Djoloff, une joie qu’on ne peut pas refuser

« Chaud pour ce soir ?

– Toujours pour une Koul Graoul !

– Et pour le concert avant ?

– De quoi ? répondis-je en m’étouffant de ma mousse.

– Bah y’a Didier Awadi au CCF (Centre Culturel Français pour les incultes).

– Ah, fais chier ! Foutre Dieu ! Moi qui penser me la coller tranquillou à la maison avant de bouger à la Cool.

– Et bien tu l’as dans le cul. D’ailleurs, finis ta bière, la nuit tombe, faut qu’on bouge ». Didier Awadi, c’est la BIG STAR du moment au Sénégal. Il a sorti en novembre son dernier album Ma Révolution. Comme c’est pas trop mon truc, je vous balance deux trois liens si vous souhaitez poussez un peu le délire.

Contre mon gré, direction le CCF et son bar qui regorge d’alcools de qualité. Quelques pressions pour se mettre la bouche en forme, puis nous rentrons dans l’arène. Hémicycle en plein air, salle imposante, je me désintéresse très vite de la première partie. Puis la star entre sur scène, genre show à l’américaine. Fumée dans tous les sens, lumières qui partent en vrille, et hop, voilà que Didier nous balance le single de son dernier album. Et zyva que ça check son booty, et zyva qu’on balance des messages d’espoir pour le continent africain à tire-larigot, et zyva que je fume des gros pétards. Vite saoulé par les grosses basses mi-reggae mi-rap west coast, j’apprécie le spectacle de cette foule éclectique, savant mélange entre expats désœuvrés et sénégalais surchauffés. Devinez qui groove le mieux… Après une heure de concert, je commence à contacter le dealer. « Rdv dans une heure devant le casino du Cap-Vert ?

– Ok, combien ?

– 3. »

Me voilà fin prêt à partir à ma dernière Koul Graoul. La Koul, c’est LA teuf de Dakar. Tous les premiers samedis du mois, au lieu de mater du porno démodé, la jeunesse cosmopolite de la ville se retrouve à l’initiative de Charlie, derrière le casino déjà maintes fois évoqué. Dans la plupart des clubs de la ville, les prostitués de luxe trémoussent leur jolis culs sur du Rihanna faisandé. A la Koul, on retrouve du bon boom boom festif bien de chez nous. C’est vous dire si je suis impatient de m’y retrouver, ça change des bars habituels où les camarades ont l’habitude de zoner. Ange-Léonie et moi partons chercher la came pendant que le reste du groupe part en before vers Ouakam, où un mec fête son départ sur un toit. Il faut savoir une chose, à Dakar, la plupart des fêtes chez des particuliers sont à l’occasion d’arrivées, de retours ou de départs. Ce que j’appelle « la valse des expats ». Je ne connais absolument pas le gars concerné, mais rien à foutre, les affaires en poche, Ange-Léonie et moi filons vers Ouakam. Sur le toit, je reconnais la plupart des gens que j’ai pu croiser durant tout mon séjour. Untel qui bosse pour une ONG, unetelle alcoolique qui se prétend artiste. Bref, une troupe de toubabs lasse, qui se la colle en professionnels. Je goûte les affaires et j’attaque plus sérieusement la picole. Alors que je rends mes hommages au maître de maison en lui roulant un petit pétard de remerciement, une américaine vient ouvertement me faire du rentre-dedans. Nonobstant l’occasion de sexe facile, je me casse la tête à coup de pastis bon marché. De toute façon, je pourrai la retrouver à la Koul. Tout le monde y sera.

Justement, alors que le maintenant fameux Ange-Léonie, chauffeur officiel de la troupe, tient à peine debout, nous décidons de nous rendre à la teuf. Il est trois heures du matin et nous voilà serrés dans son gros 4/4 de blanc, lancé à pleine vitesse. Ange-Léonie nous explique qu’en corse, t’es pas un homme si tu fais pas du 120 sur les petites routes de montagne. Après avoir frôlé plusieurs fois la mort, nous arrivons à destination. Nous passons la queue, rien à foutre, on connaît le patron. D’entrée, Ange-Léonie et moi nous nous rendons aux toilettes, l’air de rien. Puis, voyant la queue du bar, nous repartons chez lui pour prendre deux ou trois bouteilles de bière remplies de vodka. Encore une petite pause pour nous enfoutrer les narines et se griller un petit pétard qui va bien. Retour à la teuf, quelques pas de danses, quelques rasades de vodka coupée à la sciure de bois. Et à partir de maintenant, je ne peux écrire qu’en supposant. Mes souvenirs de cette fin de soirée sont vagues et imprécis. Un grand espace dégagé en bordure de la plage, une tente qui accueille l’équipe des Djs, la bouteille de bière désespérément vide et le vaste bar où la queue tellement longue me décourage irrémédiablement d’aller payer mes verres. Je vais plutôt faire du troc. « Il y aura sûrement un ou deux déglingués qui seront prêt à me filer leur verre contre un peu de cocaïne de qualité », me dis-je. Le trou noir de trois heures qu’il me reste de cette soirée me prouve que je n’avais pas tort. Quelques flashs d’ivresse dakaroise : Ange-Léonie qui saute partout, puis qui fuit à l’anglaise au bras de sa meuf, Hermione qui gesticule vraiment bizarrement une bouteille à moitié vide à la main, l’américaine de la before qui danse en me jetant quelques œillades coquines et Mohammed, sénégalais que je croise tous les week-ends comme par miracle et avec qui je finis généralement les soirées. J’alterne entre Mohammed avec qui je raconte les mêmes conneries chaque week-end et l’américaine qui m’entraîne dans la danse. Puis mon corps commence à montrer des signes de fatigue, la cocaïne est finie depuis longtemps, le jour se lève. Je tente une dernière offensive sur l’américaine, je chope mais ne rentre qu’avec son numéro. Les filles des college ne sont plus ce qu’elles étaient.

Le casino du Cap-Vert, excusez la piètre qualité de l’image, le photographe n’était pas super frais.

Dans le taxi du retour, je comprends que c’est une de mes dernières beuveries africaines. La route de la corniche défile, Les Mamelles, Ouakam, le quartier des ambassades, le Terroubi et le Magic Land, je rentre chez moi essoufflé et m’écrase du sommeil du juste (ou de l’ivrogne, c’est à vous de voir).

Si j’ai décidé de vous raconter cette anecdote, qui n’est pas très passionnante, je vous l’accorde, c’est simplement par souci d’honnêteté.

Sérieux, presque digne, le colon moderne noie son ennui presque quotidiennement. Je n’ai pas échappé à la règle. Au moins, ça m’a fait voir un peu de pays.

1Les prénoms ont été changés.

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3 commentaires

  • mais ferme là !
    mais ferme là !

    Faut-il vraiment que n’ayez que ça à faire ?! Je ne parle pas de ces soirées de déglingues (soit… on l’a fait avant vous), mais de ce torchon littéraire que vous nous servez là.
    De plus si c’est tout ce que vous avez à partager sur, de et avec l’Afrique gardez donc cela pour vous.
    La différence m’a fait grandir, je pense qu’elle a du, à vous comme a beaucoup, vous faire peur jusqu’à la folie crasse… C’est vilain tout ça.

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    • Mister Buko
      Mister Buko

      Je vous invite à lire les chroniques précédents qui devraient, je pense, vous faire changer vos propos.

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    • moldochef
      moldochef

      Réponse tardive mais réponse tout de même:

      Je viens de voir votre commentaire haineux, Monsieur ou Madame « Mais Ferme La ». N’ayant pas l’habitude de débattre sur internet, car c’est improductif, chacun campant sur ses positions pour ne pas perdre la face, je serai bref:

      Si des années de vagabondage, d’expatriation, d’aventures exotiques aux quatre coins du monde ne m’ont surement pas fait grandir, j’ai au moins appris une chose: on ne parle que de ce que l’on connait. Me connaissez-vous ? Non, alors je ne vous permets pas de supposer quoi que ce soit à mon égard, impoli que vous êtes.
      En ce qui me concerne, vu les quelques mois que j’ai passé au Sénégal, je ne vais pas commencer à faire de grandes généralités. Je reste honnête, qualité rare de nos jours. Les expatriés de Dakar que j’ai eu l’honneur de rencontrer sont ici bien entendu caricaturés. Le ton du texte aurait du vous le faire comprendre: je raconte mon expérience pour faire marrer des gens. Après si ça vous pose problème…
      Quant à mon torchon, si vous avez certes eu l’amabilité de le qualifier de « littéraire », il possède au moins la qualité de ne pas être péremptoire et n’use que très peu de lieux commun du style « la différence m’a fait grandir ».

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