Numéro Deux est le dernier roman de David Foenkinos, paru en début d’année, chez Gallimard. Les vacances d’été sont, pour beaucoup, l’occasion de s’évader, de voyager, au premier sens du terme lorsque l’on en a les moyens. La lecture est un autre vecteur d’évasion, beaucoup plus abordable, sans doute moins grisant mais, faute de grives, ne boudons pas le plaisir de manger des merles. Le plus dur, quand on veut raconter une histoire, c’est sans doute de trouver l’idée originale, le jamais vu, le jamais lu. S’il est un domaine où David Foenkinos excelle, c’est bien dans cette imagination, ce choix du sujet de départ. Celui que j’appelle le Ian McEwan français a encore une fois fait mouche. Bluffant.
Je ne connais pas de situation pour laquelle il serait honteux d’être le « Numéro Deux ». J’ai dans l’idée que mes parents auraient adoré que je sois deuxième de ma classe. Celui qui termine en seconde place aux jeux olympiques préfèrerait être premier bien sûr, mais il monte sur le podium. Il est médaillé d’argent. Il rentre dans l’histoire de son sport. Pourtant, le Numéro Deux de David Foenkinos ne se considère pas comme chanceux, bien au contraire. Finir millième lui aurait beaucoup mieux convenu. La célèbre formule de Pierre de Coubertin est une belle connerie. « L’important, c’est de participer », mon cul ! Le jour où il a tenté sa chance, il aurait mieux fait de se casser une jambe.
« Autant adoucir la déception de qui s’est rêvé océan en lui offrant d’être une goutte d’eau. »
Ce roman débute en 1999. Nous allons changer de millénaire et le monde évolue. Le bug de l’an 2000 approche, tout le monde retient son souffle. Dans le milieu littéraire, une illustre inconnue est en passe de devenir l’écrivaine du siècle prochain. JK Rowling a créé Harry Potter et, dès le premier tome de cette saga, c’est un tsunami, un succès planétaire, un best-seller absolu. Très vite les producteurs flairent la mine d’or et s’attèlent à une adaptation cinématographique. Mais avant toute chose, il faut trouver le Harry Potter idéal. Un gamin de 10/12 ans suffisamment talentueux et charismatique pour tenir un rôle qui promet de s’inscrire dans la durée. Daniel Radcliffe sera l’heureux élu. Martin Hill, lui, ne sera pas choisi. Il ira pourtant jusqu’en « finale ». Parmi les milliers de candidats, il est le Numéro Deux.
Passer aussi près de la célébrité, de la richesse, d’une vie trépidante grâce à un métier passionnant, est un profond traumatisme. Surtout quand on est en pleine préadolescence, que nos parents divorcent, et que l’on est trimballé d’un foyer à l’autre. Martin Hill n’était pas préparé à devenir acteur. On lui a fait miroiter un avenir glorieux. Il avait le physique du rôle, la prestance, et toutes les qualités requises. C’était comme une évidence, il était le parfait Harry Potter. Jusqu’à ce que Daniel Radcliffe le coiffe sur le poteau. Ce devait être lui, et du jour au lendemain, plus rien. On ne lui laissait d’autre choix que de retourner dans sa vie morose d’avant. Un peu comme s’il avait tous les numéros du loto, allait devenir multimillionnaire, mais qu’on lui volait son ticket.
« Cela pouvait rendre fou de passer à côté de tellement pour si peu. C’est ainsi qu’une vie humaine bascule du mauvais côté. »
Avec sa plume toujours aussi visuelle, pour ne pas dire cinématographique, David Foenkinos nous conte la vie d’un homme rongée par cet échec d’enfance. Comment se reconstruire, et même se construire tout court, après être passé si près du Graal ? Déambuler le reste de son existence devant les affiches du dernier volet de la saga Harry Potter sans replonger dans ses regrets. Vivre avec ça, supporter de voir le visage de Daniel Radcliffe sur tous les écrans, les unes des magazines… « Il y a une vie après l’échec, la mort seule est définitive. » comme le dit Yasmina Khadra. Un précepte bien difficile à mettre en œuvre pour le héros de ce livre.
David Foenkinos signe un roman sur la résilience. Alternant l’humour et le tragique, il nous raconte une histoire divertissante autant que philosophique. L’acceptation de soi est au cœur du récit. Martin Hill doit apprendre à passer à côté du destin auquel il était promis, et à réinventer sa vie. En mauvais disciple de Sénèque, il ressasse le passé et craint l’avenir en négligeant complètement le présent. Pourtant, s’il fut le Numéro Deux du casting de Harry Potter, il est aussi, comme chacun d’entre nous, le Numéro Un du casting de sa réalité. Rien ne me plait plus que de poser un livre après l’avoir terminé, et d’y repenser souvent pendant les semaines qui suivent la lecture. Transposer l’histoire à mon existence. C’est la fonction même de la littérature. Merci Monsieur Foenkinos !