Co-vainqueur du Prix de Flore en Novembre 2017, Johann Zarca nous livre avec Paname Underground un regard trash sur la “Ville des Lumières”, loin de la carte postale parisienne et l’image d’Épinal des bâtiments haussmanniens. Entre fiction et documentaire, ce livre est une plongée sans concessions dans les bas-fonds de la capitale avec ses freaks et ses faits-divers sordides… A mille lieues de la littérature du pouvoir qui prime le Goncourt et ses écrivains “macronistes”.
Repéré grâce à son blog Le Mec de l’Underground, Zarca a déjà été publié chez de petites maisons d’édition indépendantes telles que Don Quichotte ou encore La Tengo. Avec Paname Underground – qui reste plus proche du récit que du roman – ce sont les éditions Goutte d’Or qui ont pris le risque de publier le jeune écrivain.
En effet, Zarca se démarque tout d’abord par un style bien distinctif et propre à lui : une écriture radicale, urbaine et proche d’un langage oral qui est celui de la rue. Je parle d’un style populaire où les expressions viennent du trottoir, des poubelles ; et où chaque phrase contient un grand nombre de mots en verlan.
Ce livre n’est définitivement pas à mettre en toutes les mains, et les âme sensibles seront certainement choquées. Plus incisif qu’une Virginie Despentes – et d’une manière plus brutale – Zarca nous dépeint des tranches de vie abîmées des quartiers sombres de Paris : prostituées, transsexuels, “croma”, réfugiés, “charclo”… Tel est le quotidien by night dans lequel l’auteur nous transporte sur près de trois cent pages.
Paname Underground nous plonge ainsi, et lentement, dans les coulisses du guide des bas-fonds parisiens que son narrateur rédige depuis 2016 : Love Hotel et Sex Shop de Pigalle y côtoient les derniers cinémas porno de la capitale ayant survécu à l’industrie du streaming. A chaque chapitre ses rues dégueulasses, ses recoins de quartier et ses toxicomanes : nous traversons le Belleville des lascars, la cité Ramponeau, les backroom glauques de Montparnasse, les parvis de la Gare du Nord avec ses héroïnomanes en quête de nouvelles drogues de synthèse…
Et tandis que Zarca sort d’un combat clandestin qui a lieu dans un hangar Porte d’Aubervilliers, il est victime d’une tentative de meurtre : la virée du off parisien se transforme alors en une spirale de défonce jusqu’à nous emmener dans les catacombes de la ville.
Cerné par une réalité morbide et crue, Paname Underground est un “méta-roman” à part dans le paysage des prix littéraires de cette fin d’année. Cet ouvrage, osé et original dans le verbe, nous renvoie à la gueule un monde qui demeure si proche de nous. Comprenez : ce livre est un véritable “shot” de “sky”, doublé d’une trace de “cé”, qui nous permet de ne pas oublier ces personnages marginaux pourtant nombreux dans nos métropoles. Brut et “On The Rocks”, il s’érige en contre-pouvoir du prix Goncourt ou encore du Renaudot.
Car cette année, et sans surprise, les prix littéraires ont une nouvelle fois sacré des ouvrages issus de la pensée dominante… A commencer par L’Ordre du Jour de Eric Vuillard, publié aux éditions Actes Sud. Sans paraître complotiste, je me questionne néanmoins sur l’obtention de ce prix qui sacre étrangement la maison d’édition de Mme Françoise Nyssen, notre chère et tendre Ministre de la Culture…
De même, quid de l’intérêt politique et critique de la littérature dans les prix Renaudot et Goncourt 2017 ? Les deux récits primés – historiques et passéistes – demeurent très loin de nos préoccupations sociétales. Respectivement, La Disparition de Joseph Mengele de Olivier Guez et L’Ordre du Jour de Eric Vuillard ont pour toile de fond l’Allemagne nazie (?!?) : n’est-il pas là un sujet que nous avons vu et revu par delà les décennies dans notre littérature commune ?
Chaque année, des centaines de romans concourent pour le prix Renaudot et pour le prix Goncourt. J’ai donc du mal à croire qu’aucun d’entre eux n’ait pu aborder l’Amérique de Donald Trump, la crise des migrants, la montée de l’Extrême Droite en Europe… Bref, autant de sujets d’actualité qui mériteraient d’être primés et d’alerter le sens critique du lecteur afin qu’il veuille changer la face du monde.
Plus le temps passe, et plus j’ai la sensation que les écrivains sont intimement liés au pouvoir qui nous gouverne…
Récemment, Leïla Slimani – gagnante du prix Goncourt 2016 avec Chanson Douce – est devenue la représentante personnelle de Emmanuel Macron pour la Francophonie. L’auteure ne s’est d’ailleurs jamais cachée de son engagement politique auprès de notre président puisqu’elle a appelé à voter Macron par conviction en Mai 2017. De la même manière, Leïla Slimani n’ jamais caché le fait qu’elle ait refusé le poste de Ministre de la Culture lorsque Macron a été élu…
Autant de hasards et de coïncidences fortuites remettent clairement en cause la portée critique – et l’essence même de contre-pouvoir – que la littérature et les livres sont censés véhiculer auprès de nos esprits aguerris.
Pour ma part, et à l’approche d’un hiver morose et glacial, je continuerais à dénoncer ces liens étranges et contestables tout en m’envoyant des “shots” de “sky”.
J.M.
Paname Underground de Zarca, éditions Goutte d’Or (Novembre 2017)
L’Ordre du Jour de Eric Vuillard, éditions Actes Sud (Novembre 2017)
La Disparition de Joseph Mengele de Olivier Guez, éditions Grasset (Novembre 2017)
Chanson Douce de Leïla Slimani, éditions Gallimard (Novembre 2016)