A l’aube de la rentrée littéraire 2017/2018, mon whisky de la catégorie “pipe et plume” ira pour ma lecture des vacances d’été. Un Prix Goncourt des Lycéens qui n’est pas forcément une “nouveauté”. Contours du jour qui vient de Leonora Miano, sorti en 2006.
Auteure féministe camerounaise, c’est par le biais des Inrocks spécial Despentes que j’ai fait la découverte du combat, des idées et de la stylistique de Leonora Miano. Dans une entrevue croisée des deux écrivaines, Virginie Despentes (pour qui j’ai beaucoup d’admiration) saluait alors – au mois de Mai 2017 – la qualité d’écriture de Miano et la force de ses personnages (comme de ses histoires). Mieux, Despentes s’est risquée à comparer dans ce numéro des Inrockuptibles leurs deux visions de l’humain et de la société ; allant même jusqu’à trouver dans le sens de leurs romans respectifs de subtiles similitudes.
Les récits de Leonora Miano sont essentiellement plus politiques que fictionnels . Ils ont tous pour vocation d’alerter le lecteur, à cris et à corps, sur la situation géo-politique de l’Afrique. Ces histoires sont un véritable hurlement de souffrance ; hurlement qui nous renvoie au visage l’urgence de s’attarder sur la pauvreté de ce continent. Bien qu’elle y invente des pays, Leonora Miano n’a de cesse de nous conter – à travers ses romans – son regard sur une Afrique si réelle. Plus qu’actuels, ces romans plantent des protagonistes dont les tranches de vie sont très rudes et pourtant bien présentes à l’échelle d’un vaste continent. Elle y implante, au sens large du terme, la catastrophe humanitaire de toute une société.
Contours du jour qui vient prend place au coeur d’un territoire qui se prénomme le Mboasu. Plus précisément, nous sommes plongés au coeur des bas-fonds de la capitale Sombé, sur les rives du fleuve Tubé. A la mort de son père, Musango – toute jeune encore – est jetée à la rue par sa belle-mère. Livrée à elle-même comme de nombreux gamins (et donc ses semblables), Musango décide de partir à la recherche de sa véritable mère qui l’a abandonnée alors qu’elle n’était qu’un nourrisson.
Le contexte est néanmoins le suivant : le Mboasu sort tout juste d’une terrible guerre civile, et la capitale Sombé est en proie à l’anarchie la plus totale. Musango représente notamment la victime de tout un peuple en proie à la folie. Les parents y sont incapables d’y élever leurs enfants. C’est donc pourquoi – et sous prétexte de se référer à une quelconque sorcellerie – ils jettent littéralement leurs enfants à la rue ; enfants qui doivent alors apprendre à survivre dès leur plus jeune âge.
Ainsi, et très vite, Musango tombe malade. Elle est alors recueillie – ou plutôt séquestrée – par trois garçons qui vouent un soi-disant culte à une nouvelle église. Sous couvert d’agir derrière ce qui ressemble plus à une véritable arnaque spirituelle, Don du Ciel, Vie Eternelle et Lumière en profitent effectivement pour se livrer à une véridique traite des femmes. Ils y “éduquent” de jeunes filles comme Musango à devenir des prostituées tout en étant de serviles domestiques. Plus tard, elles seront revendues telles des esclaves modernes afin d’aller exercer en Europe.
Au fil de la narration, Musango parviendra à s’échapper du carcan imposé par Don du Ciel, Vie Eternelle et Lumière. Mais la route sera longue, et l’unique espoir qui pointe à l’horizon s’incarne en la personne du petit Mbalé ; que Musango rencontre au coeur de cette fiction.
Cette rencontre avec Mbalé est-elle le signe d’un nouvel espoir et d’un jour nouveau pour tout un continent ? Musango retrouvera-t-elle sa mère ? Contours du jour qui vient est également un récit hybride, à mi-chemin entre le roman et la correspondance épistolaire fantasmée par un narrateur omniscient : Munsango dresse – au fil des chapitres – des confessions qu’elle imagine partager avec sa mère à travers une très longue lettre. Elle lui fait part de tout, absolument tout ce qu’elle a caché au plus profond d’elle-même durant toute son enfance.
Existe-t-il une part d’autobiographie dans tout ça ? Seule Leonora Miano en a le secret ; et l’auteure laisse planer le doute jusqu’à l’aube d’un jour nouveau qui s’annonce pour ce Mboasu si vraisemblable de vérité.
… NOT WHISKY
Vous aurez aisément deviné que mon Not Whisky de pré-rentrée est un grand coup de gueule. Un rejet, un “j’accuse” et un cri d’alarme qui sont à réfléchir dans leur globalité la plus totale.
Je pointerais ainsi l’individualisme puant de nos pays d’Occident qui ne parviennent pas à dépasser le simple constat des catastrophes humanitaires telles qu’elles sont vécues en Afrique. Je dénonce les méfaits de l’ingérence occidentale et du colonialisme pur et simple de ces pays d’Afrique. Je reste scandalisé par la très faible couverture médiatique des guerres civiles africaines qui déciment depuis bien trop longtemps des populations entières ; provoquant par conséquent des génocides infâmes chez des peuples vivant dans la précarité la plus totale.
J’attends toujours que cet Occident, donneur de leçons et porteur de notre plus grand ennemi en l’entité du Capitalisme, s’insurge et réalise des actions sensées devant tant de famine et de massacres.
Né au début des années 80, je suis issu de cette génération désabusée qui a cru en une Europe solidaire vis-à-vis du Tiers-Monde.
Les yeux pleins d’espoir, je me souviens encore envoyer mon sachet d’un kilo de riz en Somalie ; pays qui est alors touché par l’une des famines les plus meurtrières du XXème siècle. Je suis en CM2, j’écoute Heal The World de Mickael Jackson… Et je vois surtout à la télévision Bernard Kouchner porté en héros en étant à l’origine de cette opération “Du riz pour la Somalie”, vaste programme humanitaire lancé en Octobre 1992. Le politicien – co-fondateur de Médecins du Monde et de MSF – est “grandi” médiatiquement en étant filmé avec un sac de riz sur l’épaule, pantalon retroussé sur la plage et partant au chevet des jeunes enfants somaliens.
Ce geste sera considéré comme l’un des plus “célèbres” mais aussi des plus “controversés” de celui qu’on surnomme également le french doctor.
En effet, l’histoire voudra malheureusement que des milliers de kilos de riz n’arrivent jamais à destination, détournés par des milices ou par des gouvernements véreux. Le principe même de l’opération sera remis en cause par certains professionnels de l’humanitaire qui pointent le coût de cette initiative par rapport à une aide financière directe ou encore les temps de cuisson différents des diverses variétés de riz qui seront envoyées.
Janvier 2015. Je viens de passer la trentaine et découvre avec stupeur que le terrorisme s’attaque également aux pays d’Europe. On vient effectivement de s’en prendre à Charlie Hebdo qui a publié la caricature de trop. Dans la rue, des millions de personnes se rassemblent en arborant le Je Suis Charlie. Un immense rassemblement républicain qui défend notamment la liberté de penser, de s’exprimer et la liberté de la presse. ¨Pendant de très longues semaines, l’intégralité des médias dominants n’aura de cesse de nous rabâcher les attentats de Paris, ville pour laquelle toutes les capitales européennes apportent leur soutien et leur solidarité.
Pourtant, une autre actualité est passée sous silence en Janvier 2015 : la secte Boko Haram – qui n’en est plus à son coup d’essai – vient de violer et de tuer des milliers de femmes au Nigéria. Elle vient tout juste d’enlever et de massacrer des centaines d’enfants dans des écoles du pays. Et pourtant, personne n’en parle. Nous demeurons auto-centrés sur les évènements affreux qui viennent de se passer en France…
Je demeure conscient que les actes terroristes qui surviennent de plus en plus en Occident sont quelque chose de dramatique et de relativement grave à l’échelle internationale. Néanmoins, je ne peux concevoir que certains pays d’Afrique n’aient pas le droit au même niveau d’information et à la même exposition médiatique.
Boko Haram existe depuis bien trop longtemps en Afrique. Nous parlons d’un mouvement d’obédience salafiste et djihadiste qui a prêté allégeance à l’EI. De la même manière que Daesh s’en est pris récemment à la France, à l’Allemagne et à l’Espagne ; la secte Boko Haram est à l’origine de nombreux massacres, attentats et enlèvements à l’encontre de populations civiles de toutes confessions, au Nigeria mais aussi au Cameroun, au Niger et au Tchad. L’organisation terroriste est responsable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Juillet 2017. Tandis qu’on nous rabâche sur CNews ou encore BFM TV le très célèbre “chassé/croisé” des “juilletistes” et des “aoutiens” (les fameux “600 km” de “bouchons”)… Quid de la situation d’urgence mondiale au Yémen ? Le pays est ravagé par une interminable guerre civile depuis bientôt deux ans. C’est tout une civilisation qui est menacée de disparaître, avec sa culture et son histoire. Avec plus de 10 000 tués depuis deux ans, en majorité des civils, et la pire épidémie de choléra de la planète, le pays menace de s’effondrer.
A mon grand désarroi, et au beau milieu de ce flux d’informations superficielles, un seul article s’intéresse à la situation géo-politique du Yémen : un éditorial du journal Le Monde, qui nous rappelle qu’une “simple brève” a été accordée aux derniers bombardements saoudiens dans les journaux. Je cite : “cette tragédie yéménite, on la voit peu. Elle se joue à l’abri de la presse”.
En bref, nous pourrions disserter des heures sur ce débat et sur ce manque de considération des nombreuses tragédies africaines et du Moyen-Orient. Et, bien que nous ayons chacun un avis sur cette situation, il me semble nécessaire et important de l’évoquer. En grand utopiste que je suis, je demeure convaincu que nous avons encore les moyens et les “plumes” de changer notre monde qui provoque sans cesse son propre chaos. En changeant notre manière de produire, nous changerons notre manière de consommer : par exemple, nous ne pouvons plus cautionner que les Etats-Unis de Donald Trump consomment en une seule journée des ressources énergétiques qui seraient suffisantes à toute l’Afrique sur une année entière.
Plus que jamais, il nous est primordial de construire une société égalitaire et solidaire de tous, pour tous et avec tous. Si tel n’est pas le cas, l’humanité sera trop vite vouée à sa propre perdition.
C’est donc armé de mon meilleur millésime de Glenfiddish (dix ans d’âge) que je vous donne rendez-vous pour une nouvelle année de chroniques.
D’ici quinze jours, je vous parlerai de 120 battements par minute de Robert Campillo… Mais surtout du fait que notre gouvernement est resté sourd devant le militantisme radical d’Act Up durant toute une décennie… A boire “cul sec” (très prochainement) en pleine période d’une rentrée sociale chargée pour notre cher président Macron…
J.M.
Contours du jour qui vient de Leonora Miano aux éditions Plon (Paris, 2006)