Depuis le 22 Août 2018, les spectateurs français ont l’occasion d’aller voir en salle le dernier film de Spike Lee, BlacKkKlansman (J’ai infiltré le Ku Klux Klan). Lauréat du Grand Prix à Cannes, ce long métrage est une comédie à l’humour noir et grinçant qui traite néanmoins d’un sujet glacial : la ségrégation raciale sous fond de suprémacisme blanc. Clairement démonté par les critiques bien-pensantes du Masque et la Plume de France Inter, le film n’a pourtant rien d’une “farce” et d’une “caricature”. Bien au contraire, ce 35 mm est très sérieux et alerte l’esprit critique du cinéphile.
“Spike Lee guignolise le Ku Klux Klan”… C’est sur cette phrase que commencent les critiques de l’émission culturelle de France Inter, Le Masque et la Plume. Acerbes, on y retrouve également des expressions telles que :
_ “Farce et humour… Mauvais mélange pour un sujet aussi grave”
_“Spike Lee mélange la farce et la caricature et cela donne un film très bas”
_“Je trouve le film très faible (…) Le choix de la farce et de la caricature est très malencontreux”
Pourtant , il n’en n’est rien dans BlacKkKlansman. J’irais même jusqu’à affirmer que Jean Marc Lalanne ou bien Xavier Leherpeur ont été très loin de saisir les enjeux et les divers sens de lecture de ce film.
La faute à qui ? A quoi ? Les critiques de France Inter se seraient-ils trop attardés sur le fait que le racisme est – certes – tourné en dérision ? Il y a bien d’autres aspects qui émergent derrière cette comédie dramatique (et non cette “farce”).
Pour rappel : le film est basé sur une histoire vraie et librement adapté des mémoires de l’inspecteur Ron Stallworth, Le Noir qui infiltra le Ku Klux Klan. Tel que le titre nous l’indique, le pitch nous expose comment ce policier afro-américain de Colorado Springs a réussi à infiltrer les rouages du mouvement nationaliste et populiste en 1978. Au téléphone, il parvient petit à petit à se faire accepter par le KKK jusqu’à devenir président de la section locale. Pour se faire, il se fait passer pour un suprémaciste blanc dans ses conversations téléphoniques avec plusieurs membres du KKK. Sur le terrain, et lorsqu’il rencontre ces “militants”, il est remplacé par son acolyte et ami de la police Flip Zimmerman, qui lui est “blanc” et de confession juive. Ron Stallworth est interprété par John David Washington (le fils de Denzel) et Flip est incarné par Adam Driver.
Ce film n’a rien d’une “caricature” grotesque. Bien au contraire, il relève du genre de la comédie sérieuse où le public est (parfois) amené à rire “jaune”. De la même manière, ce serait une erreur de croire que Spike Lee se focalise uniquement sur l’attaque des suprémacistes catholiques blancs : ce phénomène pourrait effectivement conférer une adhésion idéologique du grand public à ce sujet.
Le message de Spike Lee n’est pas là, et les protagonistes qu’il nous montre sont loin d’être “guignolisés”. A l’inverse, le réalisateur cherche à nous dire que le cinéma est un instrument politique qui peut altérer notre perception et notre jugement de la réalité.
Le climax de BlacKkKlansman est important et lourd de sens. Il parvient quand Harry Belafonte fait son apparition, dans une séquence qui nous montre de manière alternée une réunion du Black Power et un rituel du White Power du KKK.
En effet, il est primordial de saisir dans ce passage les allusions qui sont faites de manière très sérieuse au film de David Wark Griffith, Naissance d’une Nation. Dans le discours, Harry Belafonte nous rappelle que ce film muet – qui date de 1917 – fait également office de premier blockbuster de l’histoire du cinéma. Comprenez : il a été vu par des milliers d’américains dans les années 20. Or, il s’agit là d’un véritable film de propagande qui prône l’exaltation des valeurs patriotiques américaines. Naissance d’une Nation, c’est avant tout un film historique orienté – précurseur du “péplum” – qui “diabolise” la population afro-américaine et met en scène les croisades du KKK à l’époque de la Guerre de Sécession.
Ainsi, ce que précise Harry Belafonte est important dans cette séquence : c’est à cause de ce film que le KKK est réapparu au XXème Siècle et qu’il existe encore de nos jours. Autrement dit : c’est l’imagerie du cinéma de divertissement qui a remis au goût du jour une idéologie raciste.
Or, il me semble que Jean Marc Lalanne ou encore Xavier Leherpeur – critiques du Masque et la Plume – n’ont pas saisi ce méta-sens caché. Pourtant, le cinéma est un instrument de propagande de masse qui aliène tranquillement les consciences parce qu’il est justement un sujet d’interprétation. Nos deux journalistes seraient d’ailleurs les premiers à certifier que Le Cuirassé Potemkine de Sergueï Eisenstein est un film pro-communiste.
En fin de compte, BlacKkKlansman est un film choc qui a le mérite de nous renvoyer à l’actualité navrante dont est témoin l’Amérique de Donald Trump. Ce 35 mm est percutant, car le pari de Spike Lee est réussi : c’est ici une comédie objective qui ne prend pas parti. Ce long métrage, avec ses accents comiques, est proche du documentaire historique (et non de la “caricature”). Il met en balance les mouvements souvent extrêmes du Black Power et du KKK.
Là encore, ce serait une erreur de croire que cette comédie est orientée. Spike Lee recherche à contrario l’objectivité pour éviter de nous influencer. La preuve en est : le film se termine sur des images d’actualité et journalistiques qui nous montrent les récentes émeutes de Charlottesville. Or, les faits sont là. Sans parti-pris aucun, les images nous montrent deux communautés en train de s’étriper : suprémacistes blancs d’un côté, citoyens issus de la diversité de l’autre…
En fait, le message est le suivant : c’est bien la connerie humaine qui fabrique les racistes. C’est d’ailleurs cette même bêtise humaine qui fait que nous nous entretuons pour servir des idéaux sans fondements. A l’inverse, et de la même façon, c’est la violence dans sa globalité que Spike Lee condamne avec ferveur dans BlacKkKlansman.
“Allez, sans rancune ! C’est pour moi les shots de whisky M. Jérôme Garcin du Masque et la Plume !”
J.M
BlacKkKlansman de Spike Lee (actuellement dans les salles)