WHISKY OR NOT WHISKY #46 / LA CASA DE PAPEL (SAISON 4)

Si vous n’avez pas encore vu la quatrième partie de La Casa de Papel, que vous êtes un aficionado inconditionnel des aventures du Professeur et de sa clique de gangsters (dont les noms de code sont des métropoles internationales)… Ne buvez pas ce whisky au malt truffé de spoilers. Quand une série à succès rime avec marque déposée…

Les deux premières saisons de La Casa de Papel étaient vraiment très réussies. Intrigue poussée et techniquement détaillée, rebondissements bien sentis, réalisation léchée… La série espagnole avait d’autant plus de mérite puisqu’elle venait ré-hausser le niveau du paysage audiovisuel hispanique, entre émissions de télé-réalité tournant en boucle, talk show matinaux sur les people et telenovelas argentines de piètre qualité.

Néanmoins, et comme la plupart des séries produites par Netflix, La Casa de Papel a voulu impérativement surfer sur le succès de ce braquage hors normes, où ces protagonistes jouent aux Robins des Bois des temps modernes en redistribuant les richesses d’une fabrique de monnaie.

Aucune série Netflix n’échappe à la règle : Stranger Things, 13 Reasons Why… Toutes sont fondées sur des concepts originaux et novateurs qui ont tendance à s’essouffler lorsque elles commencent à tirer en longueur. C’est là un constat dommageable, étant donné que la plateforme pourrait s’en tenir à produire des mini-séries (je pense notamment à l’excellent Chernobyl produit par HBO) tout en laissant « carte blanche » aux scénaristes (c’est une doctrine de la maison Netflix).

Avec cette quatrième saison, l’idée originale de La Casa de Papel arrive donc à bout de souffle. Répétition des mêmes schémas dramatiques et de cliffhanger similaires, construction narrative trop semblable aux épisodes précédents… Nous avons l’impression de revoir le même archétype de série à l’infini, sous forme de « poupées russes » qui créent un trop plein de mises en abyme : un plan génial du Professeur répond automatiquement à une péripétie ou à une situation inextricable (le plan Paris succède au plan Hamelin qui lui-même succède à…), ce qui devient lassant et trop bien écrit pour être vrai. A force d’être redondant, le concept du « super-plan » s’éloigne d’un braquage réaliste où, très franchement, rien ne se passerait comme prévu si tel était le cas.

La plupart des ficelles sont grossières, certainement dans l’objectif de pallier à la faiblesse scénaristique évidente de cette quatrième partie. Nous noterons toutefois que cette « photocopie » est partiellement sauvée par du cinéma d’action à gros budget, aux faux-airs de Bad Boys ou de blockbuster américain. De même, et bien que cela ne soit pas nécessaire au regard de l’évolution de l’histoire, l’introduction d’un personnage transgenre (l’agent infiltré Manille) vient également redonner une touche d’actualité intéressante sur l’égalité des sexes et la condition féministe : des thématiques d’époque après la vague Meetoo.

Les acteurs/trices – et notamment Palerme (Rodrigo de la Serna) – sont dans un surjeu constant, leur moindre réplique devant fonctionner comme une punchline accrocheuse. La voix-off de Tokyo (Ursula Corbero) – qui accompagne toutes les séquences d’ouverture – devient rapidement insupportable. A chaque nouvel épisode, cette dernière ne peut s’empêcher de commenter ou de « pitcher » en voix-off ce que nous voyons à l’image. Cela en devient tellement pathétique que nous avons la forte sensation d’être pris pour des ignares, incapables de suivre un canevas sans l’aide des interventions intempestives de cette même Tokyo.

En bref, c’en est trop. Trop d’incohérences invraisemblables, où de parfaits inconnus deviennent des chirurgiens expérimentés qui parviennent à extraire une balle des côtes de Nairobi. Trop de sous-intrigues, où d’obscurs pakistanais enrôlés par le Professeur parviennent à détourner les communications satellitaires. Trop de questions soulevées par certains passages : à titre d’exemple, comment le personnage de Marseille peut-il piloter un hélicoptère militaire espagnol en plein Madrid alors qu’il était au fin fond du désert algérien quelques heures auparavant ?

Là où le bas blesse, c’est que La Casa de Papel avait tout pour propulser des personnages anti-système au rang de héros nationaux de par son sous-texte politique : un sous-texte relatif à la haine des riches, de l’argent et de la société matérialiste.

Un vague sentiment de révolte populaire traverse cette quatrième saison, mais il est relégué au second plan. A l’épisode 7, seul le transfert de Raquel Murillo (Itziar Martinez) nous renvoie à ce sous-texte de manière clairvoyante, l’ex-policière étant érigée telle une figure héroïque d’une nouvelle lutte des classes à l’ère du numérique.

Par conséquent, et en lieu et place d’un message fort, les protagonistes de La Casa de Papel se sont à contrario changés en des icônes commerciaux. Détrompez-vous : les braqueurs en costume de bagnard rouge ne sont pas les révolutionnaires d’aujourd’hui. Bien au contraire, ils se sont mus en branding tout comme les tee-shirts à l’effigie du Che.

A l’heure où Disney arrive sur le marché juteux des plateformes de streaming, La Casa de Papel est donc une marque estampillée Netflix avant d’être un produit culturel. C’est ici-même le symbole d’une nouvelle forme de mono-culturalisme qui nous dicte inlassablement les gouts et les couleurs à adopter pour être cool. Bien plus encore, c’est une façon de vivre qui nous est vendue continuellement, où les algorithmes nous conditionnent à regarder le même type de séries de manière chronophage et uniforme. Une stratégie d’orientation très appropriée en période de confinement, puisque cela occupe l’esprit au détriment du sens critique.

J.M.

La Casa de Papel (disponible sur Netflix)

 

 

 

 

 

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