Les quais sont vides le matin, à cinq heures. Le soleil se lève à peine, on y trouve dès fois quelques joggeurs, des sans-abris, avec un peu de chance, des gens ivres de la veille.
Elle est un peu différente de cette faune. Elle est déjà levée, elle avait mis son réveil, elle avait tout prévu. Habillée d’un manteau de laine pourpre, d’un jean serré et de bottes en fourrure, elle passerait inaperçue dans une foule. Mais pas ce matin. Elle fait un peu trop normale pour ce paysage.
Mais elle est équipée pour se défendre. Un pied. Une caméra.
Elle voit la vie à travers l’objectif. Comme si le monde était plus beau en 16/9, sur carte mémoire. Comme si un écran lui permettait d’avoir suffisamment de recul.
Elle a un voile devant ses yeux; il est quand même très tôt. Le café pris à la va-vite dans la première boulangerie n’a pas vraiment fait effet; la roulée mal calée n’arrête pas de s’éteindre. C’est une journée qui ne commence pas très bien.
Ce soir, l’ambiance ne sera plus la même. Il va falloir dérusher, monter. Se retrouver face à ces deux écrans d’ordi, avec du bruit, du monde, et tout faire pour que le court-métrage plaise au jury.
Après tout, elle s’en fiche un peu, du jury. Elle voudrait juste que ceux qui regardent son court-métrage imaginent la scène. Ressentent les quais, à cinq heures du matin. L’odeur de la rosée, mélangée à la pollution, aux relents d’alcool, aux reflux du fleuve.
Elle porte au bout de ses lèvres et au fond de son coeur ce sentiment de quiétude.
http://www.youtube.com/watch?v=Pl0dVxqgU64