« Toutes les familles heureuses sont plus ou moins différentes, toutes les familles malheureuses se ressemblent plus ou moins. »
Imaginez un homme, Gilles, contraint de traduire une œuvre impossible, Ada ou l’ardeur, dans laquelle Nabokov a joué à rendre la tâche du traducteur ingrate autant qu’on puisse l’imaginer. Jusqu’ici, l’histoire est vraie : Nabokov était infernal et vouait une haine sans nom au travail prétendument médiocre de ses traducteurs. Ainsi il voulait que son Ada soit l’œuvre qu’on retienne de lui (raté !) et il a truffé son texte de complications, d’images et de parodies d’autres auteurs, histoire que la mission de traduction devienne un calvaire.
La où on entre dans la fiction, c’est tout ce qu’il en coutera à notre pauvre Gilles, ainsi qu’aux habitants et estivants de l’ile bretonne sur laquelle il vit et qui l’aideront dans cette immense tâche. C’est l’histoire que nous conte Erik Orsenna, dans son roman Deux étés.
Orsenna, de l’Académie française, aime notre langue, la chérit, la défend et apprécie de la voir évoluer avec le temps. Ainsi, quand il n’écrit pas de récits sur l’Afrique (Besoin d’Afrique, l’Exposition coloniale…), il s’intéresse à la langue française (La grammaire est une chanson douce, les chevaliers du subjonctif, la révolte des accents…) – j’exagère à peine.
Notre amoureux des mots nous raconte ici l’histoire d’une anecdote hallucinante, et ne résiste pas au plaisir de nous faire partager en même temps son amour pour sa chère Bretagne, ses iles, sa météo et compagnie. Le récit se termine d’ailleurs sur un entremêlement de mots de différentes langues, qu’on peut entendre la nuit, en barque, près des iles, chuchotés par le vent et qui viennent enrichir la langue française. Comme si la Bretagne était à l’origine de la langue française, un mélange d’influences d’autres pays venues l’enrichir historiquement, et qu’il serait ainsi logique, pour un traducteur, de travailler ici, dans le berceau de la langue et de ses influences étrangères.
Au-delà du récit d’une anecdote incroyable et célèbre – tout l’intérêt du roman réside d’ailleurs dans cette anecdote -, c’est l’ennui qui transparait rapidement à travers les pages de ce petit livre. Orsenna donne l’impression de s’être fait un petit délire perso en mélangeant ses trois passions : l’amour, la mer et la littérature dans un même roman, se laissant planer (seul) avec ses jeux de mots, références historiques et supposée beauté du vocabulaire, de la grammaire, de l’orthographe voire de l’enjeu de traduire des grands auteurs… Malgré toutes les qualités de la langue, le lecteur s’emmerde rapidement et de façon irréversible. Le rythme n’est pas soutenu (ça commence bien et puis d’un coup on se perd…), on reste dans la surface des personnages et de l’intrigue. On dirait plus un petit aparté dans l’œuvre de l’auteur qu’un véritable roman, lui qui nous avait habitués à mieux – Madame Bâ, par exemple.
Inutile donc de s’arrêter plus longuement sur ces « deux étés », qui certes furent studieux, passionnés et insolites, mais surtout chiants à mourir – comme le crachin breton.
« – … notre métier nous impose d’arracher des livres au temps ou plutôt à l’éternité, demeure où se sentent si bien les rêves de grands romans, de traductions parfaites, bref, les velléités. Une fois arrachés à leur logis douillet, nous les installons dans l’espace…
Il souriait d’un air assez confus, comme s’il présentait des excuses.
– … sur les étals d’une librairie, par exemple. »
Titre : Deux étés
Auteur : Erik Orsenna
Editeur : Fayard
ISBN : 9782253144847