“Antidisturbios” : La série au cœur d’une brigade anti-émeutes / Sécurité globale…pour qui ?

Le thriller de l’année est espagnol et fait écho à l’actualité d’une manière troublante.

Il y a quelques jours, des milliers de personnes se rassemblaient en France pour protester contre les violences policières et une loi interdisant notamment la diffusion d’images d’agents en intervention. Une loi aux contours volontairement flous (il s’agit de préserver “l’intégrité physique ou psychique” des policiers) et qui met à mal la liberté d’informer dans un pays déjà marqué par une recrudescence des agressions, qu’elles soient sur des manifestants et journalistes, ou à l’encontre des forces de l’ordre elles-mêmes.

Hélas, pas sûr que l’herbe soit plus verte de l’autre côté des Pyrénées. Le réalisateur Rodrigo Sorogoyen et la scénariste Isabel Peña racontent le même climat délétère en y ajoutant une dimension politique. Leurs agents anti-émeutes de Madrid sont des hommes soudés : ils scandent des chants qui les galvanisent avant d’aller encadrer des manifestants, squatteurs ou hooligans. Mais la plupart d’entre eux sont déjà épuisés, voire brisés. Certains semblent trouver un sursaut dans l’exaltation de leur pouvoir, ce qui a provoqué l’ire des plus grands syndicats de police espagnols.

https://twitter.com/JupolNacional/status/1317743349047136256

Cependant, la série ne cache pas longtemps que ces hommes sont bien souvent livrés à eux-mêmes et chargés d’effectuer du “sale boulot” dans des conditions précaires. De fait, la violence est plus insidieuse : elle est surtout aux mains des nantis, les vraies gens de pouvoir qui utilisent ces antidisturbios comme des fusibles au risque de leur faire péter les plombs. Et puis il y a Laia, une jeune agente aux affaires internes, la “police des polices”. Elle enquête sur la mort d’un sans-papier sénégalais lors d’une expulsion menée par la brigade. Une vidéo filmée par une voisine lui sera d’une aide capitale. Car Laia n’est pas du genre à lâcher le morceau : on le voit dès le prologue, une banale partie de Trivial Pursuit où elle découvre que son père lui ment et triche ouvertement. Et ça dure jusqu’au final proprement renversant qui met à mal nos idéaux de justice sociale.

Antidisturbios montre la violence de la corruption qui se déploie, infiltrant chacune des strates de notre société, brisant des couples et générant d’innombrables dépressions. La série serait d’une noirceur d’encre si sa forme n’était pas si emballante et son casting si génial. Mention spéciale à l’héroïne Vicky Luengo et à Raúl Arévalo (vous l’avez peut-être vu chez Almodóvar ; il jouait le père du héros dans Douleur et Gloire).

Ne faites pas comme moi : ne commencez pas Antidisturbios sur votre pause repas car vous ne mangerez pas, tant la séquence d’expulsion qui ouvre l’histoire est irrespirable. Prenez le temps d’admirer le montage très cut et le travail de la mise en scène : grand-angle et caméra portée, elle enserre les personnages dans le cadre tout en restant au plus près d’eux. Malgré quelques béances scénaristiques (il n’y a que 6 épisodes pour balayer une histoire très dense), Sorogoyen ne lâche jamais ses personnages. J’en veux pour preuve la scène du restaurant de l’ultime épisode, filmée en un plan-séquence hallucinant de plus d’un quart d’heure. Il n’oublie pas non plus le sort des réfugiés, ultimes maillons d’une chaîne sordide, peut-être finalement les plus héroïques quand ils quittent leur pays sur un radeau de fortune pour sauver leur famille. Nos six policiers font corps, font face, mais le constat est implacable : la moitié d’entre eux quitteront la brigade avant la fin de la série (je vous laisse deviner lesquels).

Antidisturbios
Elías, José Antonio, Alexánder, Diego, Salvador et Rubén

Pour terminer sur une note musicale, on remarquera la superbe bande-son électro de notre compatriote Olivier Arson. Entre les cris des manifestants sénégalais et les chants des supporters de l’OM (que la brigade affronte dans une séquence tétanisante), elle est le point d’orgue d’une série ibérique qui, malheureusement et terriblement, sonne aussi français.

“Antidisturbios” est sur Polar+, disponible avec Canal+.

 

Antidisturbios

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