COLÈRE VERTE

COLÈRE VERTE

Avant, pour être sûr d’avoir un objet culturel le jour de sa sortie, il fallait souvent précommander, en versant un acompte. Parce qu’avant internet, avant qu’on sache évaluer la demande, on faisait face à des ruptures de stock de films, jeux vidéo ou livres. Maintenant ce n’est plus nécessaire, tout est fait pour fournir les distributeurs en larges quantités. Paradoxalement, l’industrie culturelle fait désormais tout pour que vous précommandiez. En échange on vous offrira un livret exclusif avec le DVD, ou alors un niveau bonus avec le jeu Xbox. Niveau livres Amazon lance un tirage au sort pour gagner un exemplaire dédicacé du prochain roman de JK Rowling, à la condition de précommander le livre.

Tout l’intérêt étant qu’un produit précommandé et un produit prévendu. Il n’est pas encore sorti des entrepôts qu’on sait déjà qu’il rapporte. Cela rassure tout le monde, de l’éditeur au revendeur. La philosophie du « c’est déjà ça de pris ».

Malheureusement, ce fonctionnement (déjà névrotique) est en ce moment poussé encore plus loin par les éditions Dupuis. L’éditeur s’est acoquiné au (déjà glauque) My Major Company afin de proposer à la prévente des éditions enrichies du prochain tome de Largo Winch, Colère rouge. C’est-à-dire que les internautes sont encouragés à payer d’avancer pour avoir des collector de l’album, des DVD de making of ou bien encore des tickets pour une soirée privée avec les auteurs de la série. Là où c’est astucieux, c’est que toutes ces éditions spéciales et autres goodies étaient déjà prévues, sont déjà produites, et auraient trouvé leur place dans le commerce de manière normale. En passant par un système de financement participatif comme My Major Company, l’éditeur Dupuis s’assure simplement d’en écouler une partie avant même la mise sur le marché. A la sortie de l’album, il empochera les milliers d’euros déjà récoltés sur My Major Company, et fera quelques économies en court-circuitant la distribution (les exemplaires vendus ici ne rapporteront rien aux libraires, c’est de la marge en plus).

Le problème de cette démarche c’est qu’elle donne une image arriviste de Dupuis (les plus malicieux auront noté que cette initiative concerne une série mettant déjà en scène un magnat financier, héros du libéralisme). L’éditeur censé gâter ses fans et se démener pour eux agit en petit comptable pressé, qui au lieu de faire vivre des éditions alternatives en librairie ou sur le net va piocher dans le porte-monnaie des lecteurs pour s’assurer un retour sur investissement plus rapide. Car ces pièces, limitées, auraient trouvé preneur dans le circuit normal de distribution. Cela aurait juste pris plus de temps, demandé plus de logistique. Et quelque part ce n’est pas cher payer pour conserver une image d’éditeur au sens noble du terme. Puisque depuis l’annonce du projet My Major Company, la colère des fans pris pour des vaches à lait gronde, tout comme celle des libraires, qui se sentent dépossédés.

Largo Winch n’est pas une série à risque, ce n’est pas à ça qu’est habituellement destiné l’appel aux souscriptions. A l’heure où Kickstarter et autres permettent de faire émerger des BD et livres qu’aucun éditeur n’a le courage ou la présence d’esprit de signer, voici qu’une major franco-belge vient réclamer de l’argent sur un titre qui n’a pas besoin d’un tel coup de pouce, au lieu de faire son travail et employer son énergie à défricher de nouveaux talents, prendre de nouveaux risques.

Puisque Dupuis a décidé de fonctionner dans une logique libérale, les lecteurs n’ont qu’à faire de même en ne tombant pas dans le piège. Sans demande, l’offre disparaitra. Attendons donc l’album en librairie. En plus, on paiera au moment de l’achat et non des mois à l’avance.

Astucieux, non ?

Sauf que le compte à rebours se termine sur une victoire pour l’éditeur, puisque plus de 120% de la somme demandée aura été récoltée. Si la révolte a bel et bien grondé, ce ne fut pas suffisant.

1 Comment

  • Ceinwynn
    Ceinwynn

    Bonsoir,

    Ce procédé n’est pas glorieux pour Dupuis mais l’auteur de Largo Winch est également dans une logique purement commerciale. Par exemple, ces dédicaces ne sont que des coups de tampons sur l’album.
    Peut-être n’est-il pas étranger à ce projet ? En tout cas cela montre bien que la culture est bien comme un autre, malheureusement.

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