Depuis quelques temps la compagnie aux grandes oreilles qui tel un gigantesque blob est en train d’absorber le tout Hollywood en rachetant des studios de légende comme la Fox et donc tout son catalogue de franchise célèbre, semble néanmoins être en mal d’inspiration. Et nous voyons fleurir des remakes live des vieux classiques de notre enfance. Alice au pays des merveilles, le Livre de la Jungle, la belle et la bête et autre Belle au bois dormant y sont passés avec plus ou moins de bonheur.
Et lorsque la nouvelle d’une réadaptation de Dumbo (l’immortel mais bien court classique tiré du seul et unique roman publié de Helen Aberson) tombe il y a de quoi sérieusement s’inquiéter. D’autant plus que c’est l’ex génie Tim Burton (en disgrâce depuis quelques années auprès de ses fans dont je fais aussi partie, et qui progressivement semble revenir vers un semblant de qualité dans ses projets) qui est à la barre pour réaliser le film. Cependant ceux qui malgré sa chute vertigineuse apprécient l’hirsute réalisateur et le tiennent toujours en estime, savent intrinsèquement que son amour des freaks et des parias en tout genre, ainsi que son goût prononcé pour l’univers circassien (clowns, femme a barbe, contorsionnistes et cracheurs de feu) font de lui un candidat idéal pour l’entreprise.
Et en effet il semblerait que l’univers du cirque ait redonné du punch au vieux Tim car Dumbo est somme toute assez réussi. Déja parce qu’il s’agit de Dumbo l’un des êtres de fiction les plus attachant de l’histoire du cinéma et que sa condition de freaks est ici parfaitement mise en avant. L’animal qui n’est bien entendu qu’une créature en CGI est ici fabuleusement attachant et risque fort de vous tirer les larmes. Et autant dire qu’on a rarement fait aussi attachant et choupinou en la matière.
La version 2019 ça raconte quoi ? Holt Farrier (Colin Farell) est veuf, père de deux enfants et ancienne vedette de cirque. Il est engagé par Max Medici (Danny De Vito), propriétaire d’un cirque itinérant en grande difficulté, pour s’occuper d’un petit éléphant prénommé Baby Jumbo. Mais suite à un accident lors de la présentation au public du nouveau-né, l’éléphanteau est séparé brusquement de sa mère et racheté par V. A. Vandemere (Michael Keaton) le propriétaire du Dreamland Circus de New York pour jouer les bêtes de foire au côté de la trapéziste française, Collette Marchant (Eva Green).
Alors si l’on retrouve clairement les grands passages cultes du film d’origine, et ils sont assez magnifiés, le passage des éléphants roses est fabuleux et reprend en plus le style graphique de ceux du dessin animé. Burton a quand même du rajouter une heure de plus et des développements scénaristiques importants afin que cette nouvelle vision de ce conte antispéciste puisse tenir la route.
Et c’est justement dans ses développements forts bienvenus que le film tire son épingle du jeu et est loin de se contenter d’être un simple remake. Déjà le film n’est pas traité du point de vue de Dumbo, mais de celui des deux enfants du dresseur de celui-ci. Si le gamin est sympathique c’est au travers de sa sœur, sorte de génie surdouée, féministe et avant gardiste que tout passe et c’est grâce à ses actions a elle que le film parvient a se hisser à un niveau fort louable pour une production de cet acabit. Car Burton traite une fois de plus de la façon parfois inconséquente et méprisante que les adultes peuvent avoir vis à vis des enfants et de la manie qu’ils ont de leur imposer leur propre vision de leur avenir. Il traite aussi avec amour et brio de la lente disparition du cirque traditionnel au profit de grosses machines de loisirs.
Au début le film peine à prendre ses marques et peine un peu à décoller et principalement du point de vue du jeu étrangement peu convaincu de Colin Farell qui par moment semble se demander ce qu’il fait ici. Lorsqu’il entre dans sa seconde phase il prend une dimension bien différente. Et cette dimension est ici représenté par la toujours géniale Eva Green et le toujours démentiel Michael Keaton qui a eux deux font entrer le film dans le spectaculaire Burtonien.
Et du coup, il semblerait que Colin Farell se laisse aller et se mette au diapason général et ce pour le plus grand plaisir du spectateur. En même temps il interprète un personnage doublement brisé, largué et en perte totale de repaires.
Ce qui est étrange dans ce Dumbo c’est que si Burton nous offre des très jolies scènes avec son petit éléphant en titre, il ne s’attarde pas tant que ça sur sa condition de freaks et en fait très vite un atout positif pour les autres protagonistes du cirque qui au final sont au travers de leurs blessures personnelles et leur parcours de vie les vrais freaks du film. Il trouve un véritable but à ses personnages et à son Dumbo. But qui est de pouvoir récupérer la mère du petit qui a accidentellement tué un salopard qui maltraitait son petit. Et autant dire que nous sommes face a une bien belle galerie de bras cassés comme les affectionne tant Tim Burton, à commencer par le trop rare Danny De Vito qui est exceptionnel en propriétaire du petit cirque et à une galerie de personnages bigarrés et picaresques tous vraiment attachants. Au travers du conte de Dumbo, Burton se concentre plutôt sur l’univers du cirque, ses acteurs et une sorte de critique certes bienvenue mais étrange du système Disney lui même, de l’Amérique des apparences, et surtout de la maltraitance animale.
Et quoi de mieux que Dumbo pour traiter de ce phénomène plus que jamais d’actualité. Car si je suis moi même un grand amoureux du cirque et des clowns en particulier (en partie à cause justement de Dumbo qui enfant était mon Disney préféré), je suis pour la totale interdiction de l’utilisation des animaux sous les chapiteaux ou même dans les zoos fermés. Le cirque doit se renouveler et peut se renouveler s’ il fait appel au talents humains, à l’inventivité et a la créativité, sans s’appuyer sur un esclavagisme forcené des animaux qui eux n’en ont rien a foutre de faire des tours de piste avec une plume dans le cul. Et à la manière du formidable Okja de Bong joon Ho parvient à donner un message clair et intelligent à tout ceux qui gardent leurs œillères quand au traitements infligés aux animaux de par le monde et au travers du prisme de l’industrialisation des loisirs de masse, il traite aussi de la maltraitance humaine par le capitalisme forcené. En cela Dumbo est un film beaucoup plus adulte que ce a quoi nous pouvions nous attendre. Et étrangement vu son sujet, bien moins larmoyant.
La réalisation est soignée, la photographie sublime, on sent que Burton aime son sujet et l’on retrouve en filigrane les pivots centraux de son œuvre en générale. Cependant la partition de Danny Elfman n’est pas fabuleuse au regard de ses travaux passés, se retrouve coincé a devoir reprendre et réarranger les thèmes du dessin animé de 41.