Actuellement en pleine tournée, on a eu l’occasion de discuter avec Karim Rihani, frontman du groupe psyché rock toulousain, Karkara. Ils ont sorti leur 3ème album “All is dust” en mars dernier.
+ Bonjour Karim, vous êtes originaire de Toulouse, comme un autre groupe que l’on aime bien ici qui est Slift. Est ce qu’il y a une grosse scène psyché sur Toulouse ?
Karim: il y a clairement une scène psyché sur Toulouse. On fait parti d’une grosse famille avec Slift. On va se voir les uns les autres en concert. On se connait tous. On a nos QG, nos bars avec ce genre de musique qui y passe.
+ Vous venez de sortir ce 3ème album “All is dust” via un trio de labels, “Le cèpe records”, “Exag” et “Stolen body”. Qu’est-ce qui a changé par rapport aux deux premiers albums ? Comment vous avez abordé celui-ci ?
K: Sur ce disque, on a essayé de faire une approche plus profonde et plus graphique de la musique. Le leitmotiv, ça a été de plonger l’auditeur dans une musique un peu plus globale. Un peu comme un film où les titres s’enchainent, une bande originale.
Quelque chose qui se dessine au fur et à mesure des morceaux.
+ Tu parles d’une approche cinématographique, je suppose que c’est quelque chose que vous voulez encore plus développer à l’avenir, avec des clips en lien avec toute la musique proposée ? Un court métrage pourquoi pas ?
K: Le projet au début c’était de faire un court métrage avec cet album là. On devait le faire. Mettre à l’image l’histoire, c’était le but ultime. Sauf que comme souvent c’est le manque de moyens qui freine, ça n’a pas pu se faire. On s’est dit que pour l’instant tous les clips sont liés, ils racontent tous une partie du disque. Peut être qu’à terme on y arrivera à faire ce court métrage.
En tout cas c’était l’idée de base et on rêve toujours de le faire. C’est toujours dans un coin de nos têtes.
+ La trame de “All is dust” ce serait quelque chose autour d’une fiction tournée vers la réalité ou plutôt un constat sur le réel, tout est poussière, c’est un constat d’urgence ? Quelle est l’histoire ?
K: L’idée c’est notre regard qu’on se fait sur le monde actuel, notre ressenti par rapport aux angoisses contemporaines. Depuis quelques années on se dit qu’il y a peut être quelque chose qui est en train de s’effriter dans notre société, dans l’économie, dans l’écologie. Finalement c’est un peu ces angoisses qu’on partage tous à des échelles différentes et on s’est dit que ce serait bien d’en parler en musique, essayer de divulguer ce genre de message.
Donc pour te répondre, oui c’est un constat d’urgence ce “All is dust“, tout est poussière, il y a cette trame post-apocalyptique qui est derrière l’album.
+ Pour faire le lien avec Slift, ils ont tendance à partir dans cette thématique là en mêlant le coté SF, est ce que c’est quelque chose qui vous tient à coeur aussi ?
K: Oui bien sur, je dis souvent que Slift c’est “2001, l’odyssée de l’espace” et Karkara c’est “Mad Max“. (Rires).
Eux, sont dans un ancrage un peu spatial, futuriste, nous on serait plus terre à terre avec cette ambiance, ouais très “Mad Max“, poussiéreuse.
+ Il y a beaucoup de couleurs dans votre musique aussi, le coté “Oriental”, ethnique. C’est toi qui apporte cette sensibilité ?
K: C’est une sensibilité commune qu’il y a toujours eu dans le groupe. Moi j’ai grandi en Tunisie, j’avais déjà ces influences là, quand on a monté le projet je les ai amenés avec moi et ça a tout de suite marché. On a cet amour pour le rock et le psyché. Le coté oriental était quelque part aussi présent chez eux.
+ Il y a de plus en plus de groupes qui se lancent dans ces sonorités world-psyché, je pense à Altin Gun ou encore Glass Beams qui viennent de signer chez Ninja Tunes, ce mix world et psyché c’est quelque chose que vous vouliez dès le départ ou c’est venu progressivement ?
K: Non c’est venu dès le début. On voulait explorer cet univers là. Tu parlais de ce coté world, il y a toute une scène à découvrir du Magreb ou de Turquie, la musique anatolienne. On s’est dit qu’on allait y aller, essayer de trouver un équilibre mêlant orient et occident. L’idée c’est l’exploration.
+ Ce son massif s’exprime aussi par des morceaux assez longs, avec des ponts, je fais un petit parallèle avec la musique classique. Comment vous construisez les titres ? Je rappelle que vous êtes trois dans Karkara.
K: C’est jamais très compliqué, on essaye de composer la musique comme on l’aime. On a cet attrait pour la musique un peu longue, qui prend le temps, qui pose les choses. On n’est pas trop dans le “couplet-refrain“.
Pour le projet de composition ça peut être l’un de nous 3 qui arrive avec une idée et on essaye de la developper. Au bout d’un moment on se dit: “Ok là c’est bon c’est la fin“.
Ça vient assez naturellement. Il y a beaucoup de groupes où c’est un problème de finir les morceaux, nous c’est pas un soucis.
+ Il y a beaucoup de parties jammées ?
K: Oui effectivement, au début c’est que du jam. Puis au bout d’un moment on prend la meilleure jam qu’on a fait et on l’écrit. On se dit qu’on va partir sur ça, developper le truc et l’améliorer encore.
+ Est ce que vous vous racontez des histoires aussi entre vous ? J’entends là, est ce que vous posez des mots sur des sensations vers lesquelles vous voulez aller ?
K: Oui et non, ça dépend des musiques, ce qu’on a envie de raconter. C’est le cas de “On edge” sur l’album. C’est une baston en fait ce titre. On voulait retranscrire cette bagarre en musique avec des moments de latences, des moments plus furieux, violents.
D’autres fois c’est plus un ressenti sur le moment. Tiens ça raconte ça on l’a pas écrit mais on est tous d’accord avec ça.
+ Et King Gizzard dans tout ça (Rires). Qu’est ce que ça vous apporte au quotidien ? Est ce que c’est votre plus grande influence dans le groupe ou est ce que c’est une parmi tant d’autres ? Je cite pêle-mêle King Crimson, Oh Sees…
K: King Gizzard, c’est un monument de l’époque quand c’est sorti et encore jusqu’à aujourd’hui. Ils ont ouvert ce style là à des personnes qui n’y connaissent rien. Leur grande qualité c’est qu’ils s’ouvrent à pleins d’univers et leurs auditeurs du coup s’ouvrent aussi à différents styles.
Que ce soit le rock garage des premiers albums jusqu’à récemment, le métal ou les musiques électroniques.
J’ai envie de dire qu’aujourd’hui peu importe ce qu’on fait en psyché ça va toujours ressembler un peu à King Gizzard.
Je me souviens à la sortie de “Flying Microtonal Banana“, à l’écoute de ce disque où l’on retrouve des mélanges avec de la musique anatoliennes je me suis dis: “Merci vous avez fait ça, enfin !” (Rires).
+ Une question un peu plus large, comment tu expliquerais que dans les années 60/70 il y avait cet engouement terrible pour cette musique rock, psyché, qui est un peu tombé dans l’oubli derrière avec l’arrivée du disco et autres… Finalement maintenant le public se remet à écouter ce style là.
K: Je pense que dans ces années là, il y avait un goût pour l’exploration, aller s’ouvrir au monde et à d’autres sonorités. Cette période post 60’s, hippie. Ça a permis à pléthores de groupes d’émerger, parfois bizarre mais toujours innovant.
Le rock prod était hyper riche.
Peut être qu’au bout d’un moment les gens se sont dit qu’on avait fait le tour et qu’il fallait se diriger vers autre chose. L’arrivée progressive de l’électronique dans les années 80.
Aujourd’hui il y a peut-être ce retour à quelque chose de plus organique, remettre les instruments au devant. Il y a un retour d’écoute de ces vieux groupes, vieux albums.
J’ai des potes qui enregistrent des disques sur des 4 pistes cassettes alors ouais le son est un peu crado mais au final ça fait du bien. Retirer ce coté un peu trop lisse.
+ Pour rester dans cet engouement années 60 et 70, il y a le retour très fort du vinyle. Vous aussi vous soignez ça avec vos labels. L’esthétique de la cover, des éditions colorées… Pour les fétichistes que nous sommes c’est parfait.
K: Oui, ça fait parti du délire. Il y a la musique et tout ce qui tourne autour. Pour nous c’était de proposer un objet qui est joli. Il y a des gens qui viennent nous voir en concert qui achètent le disque sans forcément avoir de platine parce qu’ils trouvent l’objet joli.
Il y a des personnes qui ne savait pas qu’on pouvait faire des vinyles colorées.
Ça complète le projet.
+ Dernière question concernant cette pochette, qui l’a réalisé ? Parce qu’elle est superbe.
K: Alors c’est une belle histoire. C’est une personne qui s’appelle Ilam, il vit en Indonésie. On est tombé dessus complètement par hasard. Il bossait sur un site de NFT (Oeuvres numériques) où il faisait des illustrations. Je trouvais que ce qu’il faisait était très cool.
Mais comme c’est sur un site de NFT va trouver la personne (Rires).
Finalement j’ai réussi à trouver son nom, je lui ai envoyé un message en lui disant qu’on était un groupe, qu’on aimait son travail et que ce serait cool de bosser avec lui pour une cover.
Le seul hic c’est qu’il n’avait jamais fait ça. Alors je lui ai dit: “Ok pas de soucis, je t’envoie tout ce qu’il faut, les dimensions, il faut réaliser un front et un back…”
Au début il n’était pas très sur, on lui a dit: “Ecoute essaye et on voit ce que ça donne mais je pense que ça va le faire“.
Il nous a envoyé ça et on s’est dit: “Ok c’est bon c’est ça !” (Rires).
+ Juste pour teaser un peu est ce qu’il y a déjà des trucs dans les tuyaux pour un prochain disque ?
K: Possiblement un 45 tours qui va sortir très bientôt.
“All Is Dust” 3ème album de Karkara
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