[Interview] Yann Gael (« Saloum », la série Netflix « 1899 ») : « Mes rôles me choisissent »

Révélé par la télé française, Yann a vu sa carrière exploser récemment. D’abord sur Netflix où il joue Jérôme sur le paquebot de la série 1899, la méga-production des créateurs de Dark. Puis au cinéma, où il a été le héros de Saloum, un « southern » dans la jungle sénégalaise.

Le comédien est intense dans ces deux expériences, aussi différentes soient-elles : un mystère fantastique européen et un film d’action africain, genre que le 7e art nous offre trop rarement. Mais Yann ne fonce jamais tête baissée : sa quête de vérité émane d’un feu sacré qui se manifeste avec réflexion dans chacun de ses rôles.

Yann Gael : Merci de prendre le temps de me rencontrer. J’ai lu les interviews que vous avez faites, c’est chouette. Force à AOW !

AOW : Merci Yann et bravo pour tes interprétations. Dans Saloum, tu joues Chaka, un mercenaire en mission avec deux acolytes. Leur cavale va se mêler à la culture ancestrale du pays. Comment décrirais-tu cette aventure ?

Yann Gael : Saloum est un film qu’on a fait au Sénégal il y a quelques années, avec la force du désir. On a travaillé comme en famille. Il s’agissait de parler de soi, depuis le centre, tout en ayant des héros universels. On a douté que ce projet aboutirait, étant donné la difficulté du film de genre à se faire une place. Mais quand je vois les gens heureux à la fin des séances, je me dis que ceux qui ont fait la démarche ont voyagé avec nous, ont été divertis et ont peut-être un peu réfléchi aussi.

Yann Gael : Saloum a beaucoup voyagé et muté avant d’arriver en salles cette année en France. Il dure 1h20 mais le premier montage faisait 2h10 ! J’ai eu la chance d’être présent à des avant-premières, à des projections en Inde, en Pologne… ça m’a permis de prendre le pouls. Rencontrer les jeunes spectateurs et les voir avec autant d’enthousiasme, ça m’a transporté. Leurs réactions sont précieuses. Parfois les gens restent après la séance, posent des questions sur la mythologie du film. Il y a comme un besoin de spiritualité. Le film se met à vivre hors de l’écran.

Saloum, c’est aussi la suite de ma rencontre avec le réalisateur Jean-Luc Herbulot, fondamentale. Car le cinéma peut être un travail solitaire par rapport au théâtre et à sa troupe. Jean-Luc et moi, on s’est rencontré sur les réseaux sociaux il y a quelques années. Il avait des photos de profil un peu bizarres, il postait des trucs chelous… On s’est capté, et au bout de deux minutes, je me suis dit « ce mec est brillant ». Pour moi, ce fut un coup de foudre artistique. D’abord, on a fait ensemble Sakho & Mangane : c’est une série policière au cœur de Dakar, avec un duo de héros mal assorti. C’est la vision de Jean-Luc qui a permis d’attirer ensuite Netflix pour la diffusion. Avec notre chef opérateur, sa lumière sublime, on a réussi à danser avec son mouvement.

Jean-Luc, c’est un bonheur de travailler avec lui. Il n’est pas du tout dans l’ego. Il a une créativité assez incroyable, il sait esquisser la silhouette des personnages et les laisser vivre. On crée réellement ensemble, main dans la main. Il te donne une liberté et, en chemin, on voit qu’il a semé des choses. Il t’a ouvert une route, celle que tu pensais prendre tout seul mais qu’il avait en fait dessinée pour toi.

Réenchanter le rêve africain

Le Saloum est une vraie région du Sénégal, peu connue. C’est un peu le grenier du pays, une zone à la fois désertique et verte, absolument fantastique. Je ne la connaissais pas moi-même : c’est comme une « petite Afrique » qui reste à découvrir. Là-bas il y a des croyances, des mythologies qui appartiennent aux gens mais qu’ils ont oublié ou ne valorisent pas forcément. Regarde la domination culturelle des États-Unis : c’est un pays très violent, mais ils ont réussi à créer et vendre leur « American dream » à la Terre entière.

On avait à cœur de sortir de l’enfer urbain de Sakho & Mangane, et redécouvrir à quel point tout le Sénégal est cinématographique. Dans le Saloum, les gens ont un vrai vécu, tout a une vie propre, il y a ce parfum de l’expérience.

AOW : Sans trop en dévoiler, ton personnage de Chaka est hanté par un passé qui le traumatise. Comment te prépares-tu pour un tel rôle ?

Yann Gael : Comme Jérôme dans 1899, Chaka est chargé physiquement. Le tournage de Saloum a duré seulement 2 semaines et demie, c’était très resserré. Tandis que 1899, c’était une grosse machine : 6 mois de tournage en studio à Berlin ! La question du temps devient alors essentielle : il faut savoir doser ses efforts, tenir sur la longueur.

AOW : Comment parviens-tu à garder cette énergie aussi longtemps sur les tournages, puis à l’exprimer ?

Yann Gael : C’est vrai que Chaka et Jérôme ne sont pas les personnages les plus loquaces [rires]. Leurs enjeux sont tellement forts. Je guette le moment de bascule, puis je me déploie pour prendre le virage. Pour Chaka, j’étais moins dans la construction. C’est quelqu’un qui porte un soupçon de panique, il avance masqué. Il s’agissait de faire confiance à ce qui est plus grand que nous. On est passé voir les maîtres spirituels du Saloum, c’était une marque de respect pour ensuite se concentrer sur ce qui est essentiel, à savoir suivre son instinct. Le plus souvent, on ne s’écoute plus. On préjuge trop de ce que les autres vont dire.

Pour Jérôme dans 1899, j’ai eu le sentiment de lui prêter mon corps. Lui aussi est déguisé. Il a le désir de ne pas devenir ce que les autres font de lui. Ce n’était pas évident car j’ai intégré le cast plus tard que les autres comédiens, donc sans pouvoir faire les lectures de scénario avec eux. Baran Bo Odar et Jantje Friese, les deux créateurs de la série, sont des gens tellement humains et puissants. On a tourné face à des écrans LED géants, je crois que c’est une technologie qui a été utilisée ensuite sur The Mandalorian. Sur le pont du bateau, ça donne un réel effet de mal de mer. Dans un tel décor, l’énergie de Bo et Jantje te soutient. Pour 1899, il fallait jouer « ancien » mais dans une sorte d’éternel « âge d’or ». J’aime les films qui traversent les époques, qui parlent à la fois au futur et au passé. Essayer de sortir d’un certain côté naturaliste qu’on doit notamment à la Nouvelle Vague, pour aller ailleurs.

 

AOW : Tu es également actif au théâtre. Comment arrives-tu à jongler entre les différents supports ?

J’ai travaillé 6 mois à La Réunion pour une pièce de Vincent Fontano qui s’appelle Après le feu. C’est une réflexion sur la relation entre victimes et assassins. L’histoire d’un jeune homme qui a commis les pires atrocités, avec un monologue de 45 minutes, incroyable.

AOW : En 2017, tu avais obtenu un prix d’interprétation pour le téléfilm « Le Rêve français » avec Aïssa Maïga, qui retrace les destins de familles françaises d’Outre-Mer, des années 60 à nos jours.

Yann Gael : Je dois dire que Le Rêve français a changé ma vie, littéralement. Là aussi on y parle des territoires africains, de quête de justice, de résilience.

AOW : Et plus récemment, on a pu te voir dans Le Code, la série judiciaire de France 2. Tu y joues un médecin accusé de meurtre.

Yann Gael : J’avais rencontré le scénariste Lionel Olenga (Chérif, Avocats & associés). J’étais alors intéressé par le rôle principal de la série, superbement interprété aujourd’hui par Daniel Njo Lobé, mais j’étais un peu trop jeune. Pour ce second rôle, la réalisatrice Bénédicte Delmas m’a dirigé vers quelque chose de fort. Tu la connais peut-être, c’était une des héroïnes de Sous le soleil. Elle a su m’amener vers mon discours final qui m’a presque échappé, pris par surprise. Au final, c’était plus fatiguant à jouer que Jérôme ou Chaka.

AOW : Je suis surpris que tu ressentes ça ! De mon point de vue de spectateur, ce rôle semblait un peu moins compliqué « sur le papier ».

Yann Gael : Bénédicte m’a aidé à capter l’énergie intense et négative de ce docteur Thomas Mendy. Au final, j’espère rendre justice à mes personnages, et en échange ils me laissent quelque chose de leur force vitale.

Merci encore Yann pour ce partage. Vous pouvez suivre le comédien sur Instagram. On espère retrouver Saloum en VOD bientôt.

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