« Tu n’es rien, Elia. Ni moi non plus. C’est la famille qui compte. Sans elle tu serais mort et le monde aurait continué de tourner sans même s’apercevoir de ta disparition. Nous naissons. Nous mourons. Et dans l’intervalle, il n’y a qu’une chose qui compte. Toi et moi, pris seuls, nous ne sommes rien. Mais les Scorta, les Scorta, ça, c’est quelque chose ».
Ah ! Vous ! …qui êtes tout comme moi : passionnés par l’Italie ! …Passez votre chemin.
Vous trouverez bien ici une chaleur écrasante, un peu de pasta baignant dans la sauce locale des Pouilles, de l’huile d’olive voire une certaine ferveur chrétienne mais c’est à peu près tout de l’Italie.
Laurent Gaudé a reçu en 2004 le prix Goncourt pour ce roman, Le soleil des Scorta. Ce roman l’a révélé au grand public mais il avait déjà crée des pièces de théâtre auparavant. Depuis, il a écrit entre autres La mort du roi Tsongor (Prix Goncourt des lycéens en 2002), Ouragan, Pour seul Cortège, Eldorado, La porte des enfers. Passées les premières pages du livre, j’étais sceptique. Le soleil des Scorta, prix Goncourt ? Je ne comprenais pas. Le roman retrace le parcours d’une famille maudite de génération en génération, d’une lignée issue d’un bandit qui a engrossé par erreur la sœur de celle qu’il désirait plus jeune…
L’Italie n’était guère présente, c’était simplement une atmosphère chaude, pesante, retranchée du monde. On passait les générations de manière assez succincte, pour ne pas dire superficielle. Le récit manquait de profondeur et je peinais à m’accrocher. Et au détour d’une page, j’ai compris. Ce n’est pas le récit un personnage voire de plusieurs, c’est celui d’une famille, les Scorta. Aucun intérêt de se fixer sur les pensées, les désirs, les frustrations ou les secrets d’un personnage principal. Le soleil des Scorta c’est le récit d’une famille, et avec lui, l’histoire de toutes les familles.
On se passionne alors, en se détachant des personnages, pour la survie de cette famille. Gaudé cherche à nous faire comprendre que nous ne sommes rien, pris séparément, et que nos vies n’ont que peu d’intérêt si ce n’est de construire, de vivre pour faire la continuité les siens après nous dans la mémoire de ceux qui nous ont précédés :
« Un bouleversement profond s’opéra dans l’esprit d’Elia. Pour la première fois, il travaillait avec bonheur. Jamais les conditions n’avaient été aussi dures. Tout était à faire. Mais quelque chose avait changé. Il n’héritait pas, il construisait. Il ne gérait pas un bien qui lui venait de sa mère, il se battait de toutes ses forces pour apporter un peu d’aisance et de bonheur à sa femme. Il retrouvait dans le bureau de tabac le bonheur qu’avait eu sa mère à y travailler. Il comprenait maintenant l’obsession et la folie avec lesquelles elle parlait de son commerce. Tout était à faire. Et pour y parvenir, il fallait qu’il se force. Oui. Sa vie ne lui avait jamais semblé aussi dense et aussi précieuse ».
Que sont les Scorta ? Une folie qui se transmet à travers les générations, un puissant désir de se détacher de cette famille pendant les premières années de leur vie avec toujours pour finalité, la révélation d’une appartenance à une lignée. En ce sens, Le soleil des Scorta est un roman universel, écrit avec des phrases brèves et des mots choisis qui donnent un semblant de simplicité qui n’est finalement que concision. En ce sens, alors oui, Le soleil des Scorta mérite son prix.
Titre : Le soleil des Scorta
Auteur : Laurent Gaudé
Edition : Babel
ISBN : 978-2742760183