Le bookcrossing vu de l’intĂ©rieur

Le bookcrossing est un concept de collaborative commons prĂ©coce consistant Ă  partager des livres en les « libĂ©rant » dans la nature pour qu’ils puissent ĂȘtre retrouvĂ©s et lus par d’autres personnes qui les relĂącheront Ă  leur tour.

Le bookcrossing repose sur le site internet bookcrossing.com qui permet Ă  chaque bookcrosseur de suivre le chemin parcouru par les livres qu’il a libĂ©rĂ©. En effet, chaque livre voyageur est enregistrĂ© sur le site internet et se voit attribuer un identifiant, le BCID qui permet de le suivre Ă  la trace, Ă  condition que les possesseurs successifs acceptent de jouer le jeu. Et c’est lĂ  que ça se corse. Car c’est rarement le cas.

Comment ça marche?

Faire du bookcrossing rĂ©clame du temps, de la prĂ©paration et de l’imagination. C’est comme vendre un canapĂ© sur Ebay, il faut bien habiller le produit pour le rendre enviable.
Pour commencer, tu ne fais pas voyager n’importe quel livre. Tu multiplies les chances de succĂšs en proposant un ouvrage qui fasse envie. Adapter le livre Ă  l’endroit oĂč tu as prĂ©vu de le libĂ©rer et d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, proposer des romans courts et grand public, ou des polars. Le manuel de physique quantique ou le pavĂ© de 500 pages en livre de poche Ă©dition 1950, ça ne fait plus rĂȘver grand monde et il y a fort Ă  parier que ton livre finira au mieux dans un caniveau.
bookcrossingUne fois le bouquin dĂ©nichĂ©, on commence par l’enregistrer sur le site Ă  partir de son ISBN. Il faut se fendre d’une petite description du contenu du livre, le catĂ©goriser (polar, sf, livre de cul etc…) et dire s’il est disponible, rĂ©servĂ© ou s’il voyage. IdĂ©alement on met un texte qui va expliquer les grandes lignes du bookcrossing au trouveur potentiel, histoire de l’inciter Ă  jouer le jeu, comme ici. On valide et le site gĂ©nĂšre l’immatriculation des livres bookcrossing, le BCID qu’on doit inscrire dans le livre. Le BCID rĂ©pertorie ton exemplaire et permet aux gens de le retrouver sur le site pour dire qu’ils l’ont rĂ©cupĂ©rĂ©. Mais comme c’est juste une suite de chiffres, pour que le quidam comprenne de quoi il s’agit, on met une petite Ă©tiquette qui explique le bookcrossing.
Ensuite, quand on a dĂ©cidĂ© de faire voyager le livre, il faut dire oĂč on l’a libĂ©rĂ© via une arborescence assez compliquĂ©e Ă  manipuler, un ancĂȘtre de gĂ©olocalisation Ă  partir de menus dĂ©roulants et dĂ©routants, surtout si on libĂšre un livre dans une ville q’on ne connait pas. Le summum c’est de libĂ©rer dans un pays dont on ne parle pas la langue! Comme par exemple, le Japon:
bookcrossing

Une fois le casse-tĂȘte rĂ©solu, gĂ©nĂ©ralement en sĂ©lectionnant la crossing zone « quelque part en ville », il ne reste plus qu’Ă  libĂ©rer le livre en l’abandonnant lĂ  oĂč on a prĂ©vu de le faire. Soit au vu et au su de tous pour qu’un anonyme le ramasse, soit cachĂ©, pour rĂ©server sa dĂ©couverte aux curieux qui iront vĂ©rifier sur le site la liste et la localisation des livres libĂ©rĂ©s via la page Go hunting. Ainsi, le livre peut soit ĂȘtre trouvĂ© par hasard, soit dĂ©nichĂ© par un habile chasseur.
Et voila, ton livre est en voyage et tu n’a plus qu’Ă  attendre qu’un curieux le ramasse, aille Ă  son tour l’identifier sur le site, dise oĂč il l’a trouvĂ©, fasse un petit rĂ©sumĂ© quand il l’aura lu, puis une nouvelle note quand il le libĂšre, en prĂ©cisant bien sĂ»r oĂč il l’a fait Ă  partir du fameux menu prĂ©citĂ©.
Voila ce que donne un livre enregistré dans la bibliothÚque de bookcrosseur :
bookcrossing
Petite lĂ©gende: Le titre, l’auteur et la catĂ©gorie, l’identitĂ© du bookcrosseur qui l’a enregistrĂ©, le nombre de lecteurs qui l’ont partagĂ© et la note moyenne obtenue. Enfin tu as l’identitĂ© du dernier possesseur et l’Ă©tat actuel. Celui-ci est un bookray initiĂ© en 2005. Il a voyagĂ© entre les mains de 44 lecteurs et il est actuellement chez un bookcrosseur qui ne l’a pas encore lu ou fini…depuis mai 2013).

Et ça marche?

Le concept a maintenant plus de dix ans, et il a toujours des Ă©mules. La France est l’un des pays oĂč il y a le plus d’activitĂ©, mais pour autant, la population de bookcrosseurs actifs suit plutĂŽt une courbe descendante. Il y a plusieurs raison.

D’abord, mĂȘme en libĂ©rant beaucoup de livres, on a peu de retours. Donc Ă  force on se lasse et on se dĂ©motive. Pour ma part, en quatre ans d’activitĂ©, plus de 800 livres libĂ©rĂ©s, je n’ai eu qu’une cinquantaine de retours et jamais, jamais aucun de mes retours n’a poussĂ© le processus jusqu’au bout. Donc mes livres ont fini sur les Ă©tagĂšres d’inconnus qui n’ont pas pris le relais….c’est un peu dĂ©primant.

Ajoutons Ă  cela l’instinct de propriĂ©tĂ© (« moi mes livres, je les garde »), la crainte de se faire alpaguer par un tĂ©moin de Jehovah ou traiter de voleur en ramassant un livre manifestement abandonnĂ© et le peu de curiositĂ© des gens pour les livres en gĂ©nĂ©ral, et ceux qu’ils ne connaissent pas en particulier.

Une autre cause Ă  la stagnation des vocations, c’est le site internet bookcrossing, créé en 2003. Il est assez compliquĂ© Ă  utiliser, avec ses sigles, ses rĂšgles de crĂ©ation de livre, son arborescence pour les release…bref, ce n’est pas le site pour tout le monde. Le moteur du site accuse ses 15 ans et n’est pas, mais alors pas du tout web 2.0. Les modalitĂ©s d’inscription d’un livre et de release sont trĂšs contraignantes, il n’y a pas de version mobile ou d’appli, bref rien qui facilite l’appropriation par un public dorlotĂ© au web communautaire et au plug and play. La dĂ©marche de bookcrosseur rĂ©clame un engagement et une pugnacitĂ© que tout le monde n’est pas capable de dĂ©ployer.

Pendant longtemps, les bookcrosseurs français pensaient que ce qui freinait les français, c’Ă©tait un site en anglais. Mais la traduction du site il y a quelques annĂ©es n’a pas vraiment boostĂ© la communautĂ©. A moins qu’elle soit arrivĂ© trop tard.

Pour pallier à ce constat collectif, les communautés de bookcrosseurs locaux ont organisé plusieurs modes de partage de livres.

Le Ring consiste à faire voyager un ouvrage entre plusieurs lecteurs identifiés puis à le récupérer aprÚs des périples qui durent en général plusieurs années.
Le Ray propose la mĂȘme chose que le ring sauf que l’Ă©metteur ne souhaite pas rĂ©cupĂ©rer son livre. Il voyage donc par la poste, de lecteur en lecteur, jusqu’Ă  Ă©puisement du filon. Le dernier lecteur se chargeant gĂ©nĂ©ralement de le libĂ©rer dans la nature.
Le RABCK (random act of bookcrossing kindness) consiste à offrir un livre à la communauté des bookcrosseurs, ce qui peut éventuellement déboucher sur un ray.
Les bookcrosseurs organisent Ă©galement des Ă©vĂ©nements publics locaux, nationaux et mĂȘme internationaux afin de se retrouver, de rencontrer des bookcrossingbookcrosseurs wannabee et de s’Ă©changer des livres entre eux. Parfois ils le font dans un troquet qui propose une bibliothĂšque Ă  livres voyageurs (un OBCZ), parfois ils se retrouvent au grand air et organisent un arbre Ă  livres. On enferme les livres dans des sachets protĂ©gĂ©s et on les accroche Ă  un arbre, du mobilier urbain ou tout ce qui s’y prĂȘte. L’idĂ©e est que chacun se serve avant que les livres soient dĂ©crochĂ©s par le gardien du square et jetĂ©s Ă  la poubelle (oui, ça arrive).

Ces moments de convivialitĂ© sont aussi l’occasion de se retrouver entre passionnĂ©s et gros lecteurs, car le bookcrosseur actif est gĂ©nĂ©ralement un lecteur compulsif, un curieux qui se rend aux meeting pour discuter lecture et autres sujets avec d’autres passionnĂ©s. C’est grĂące Ă  ces moments de partage que la communautĂ© reste active et engagĂ©e. Ayant compris que les wild release n’avaient que peu de chances d’aboutir, les bookcrosseurs se contentent souvent des Ă©changes entre personnes qui se connaissent et partagent des centres d’intĂ©rĂȘt autour de la lecture, entre autre.

En conclusion, le bookcrossing, c’est un bon moyen de se sĂ©parer de ses vieux bouquins en en faisant profiter de potentiels lecteurs. Si les wild release en pleine nature sont toujours possibles et assez jouissifs, il vaut mieux larguer ses bouquins dans des lieux privĂ©s prĂ©vus Ă  cet effet (les OBCZ) pour Ă©viter qu’ils ne soient perdus, jetĂ©s, dĂ©truits.

Pour la communautĂ© francophone, le point de ralliement est le forum 17, forum interne du site bookcrossing oĂč les vieux routards du BC (certains fĂȘtent leur dix ans en ce moment) sont ravis d’accueillir et orienter les newbies… le forum français, ou forum 17. Ils sont parfois un peu ronchons, un peu conservateurs (certains) ou pensent dĂ©tenir les clĂ©s du temple (certains), mais comme dirait un metalleux que j’ai rĂ©cemment interviewĂ© « mĂȘme dans le metal il y a des cons »….sous entendu : tu trouveras toi-mĂȘme si t’es pas trop truffe.

3 commentaires

  • Le Bookcrossing – Les crĂ©ations de Mumu et autres gourmandises
    Le Bookcrossing – Les crĂ©ations de Mumu et autres gourmandises

    […] Ici il y a un trĂšs bel article qui explique trĂšs clairement comment cela fonctionne dans les dĂ©ta… […]

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  • DonaSwann
    DonaSwann

    TrÚs sympa, bien expliqué, cet article !

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  • DonaSwann
    DonaSwann

    Je corrige le lien de mon blog… ;o)

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