Une vulgaire paire de pantoufles, des pauvres charentaises à carreaux, tel est le sujet central du dernier roman de Luc-Michel Fouassier, sorti ce mois-ci aux Editions Folio. C’est l’histoire d’un type, bien à tous égards mais un peu tête en l’air, qui claque la porte de son appartement avec les clefs à l’intérieur et ses pantoufles aux pieds. De là, il part dans des tribulations inattendues qui vont forcément impacter le regard des autres, son ego, et même son destin.
J’avoue que lorsque j’ai reçu ce petit livre, à peine plus épais que mon téléphone portable, avec sa couverture rigolote et son titre pour le moins énigmatique, je fus perplexe. Et puis je me suis dit que 113 pages d’un bouquin en format de poche c’est vite lu et que je ne perdrai ainsi pas trop de mon précieux temps. Alors je me suis installé sur mon canapé pour deux heures, lesquelles sont passées aussi vite qu’une respiration.
Notre homme se retrouve donc sur son pallier, enfermé dehors et chaussé de ses charentaises. Ses obligations professionnelles l’obligent à s’activer et, par manque de temps, à rester dans cet accoutrement a priori peu flatteur. Pour ne rien arranger, sa journée promet d’être bien occupée et remplie d’interactions sociales. Comme de juste, tous les yeux de ses contemporains, notamment les plus malveillants, sont rivés sur ses pantoufles.
« Je pensais plutôt qu’en sortant chaussé ainsi, je ne foulais plus le même sol que mes congénères, j’avançais en marge. »
Passée la honte induite par les multiples moqueries, notre héros (anti-héros ?) se met à apprécier le confort inhérent à ses chaussons. Sa démarche s’en retrouve allégée, silencieuse et agréable. Pour une fois dans sa vie, il se démarque des autres. Il traverse ses différents rendez-vous avec une assurance grandissante et une confiance en lui inhabituelle. Pour tout dire, c’est un homme bien dans ses baskets. Enfin dans ses pantoufles…
Pourtant, avant cet incident, sa vie ne semblait pas des plus heureuses. Un travail que l’on devine barbant, un couple vacillant, rien de très enthousiasmant. Mais cette paire de charentaises va lui ouvrir des portes inespérées, menant à la confiance en soi, à l’amour de soi et même à l’amour tout court. Peut-être va-t-il de surcroit faire des émules ?
« Ce n’était pas désagréable de marcher dans la rue avec des charentaises aux pieds, ça vous donnait la douce impression de fouler un tapis moelleux et silencieux de mousse, le dur trottoir revêtant les atours de sentier de sous-bois. »
Luc-Michel Fouassier nous gratifie ainsi d’une critique de notre société normée à l’extrême. Utilisant l’humour et la dérision, il souligne le fait que lorsque l’on décide (ou en l’occurrence lorsque la vie décide pour nous) de sortir des clous, des sentiers battus, il nous faut un sacré tempérament de révolté pour pouvoir redresser la tête. Cet esprit de lutte, l’auteur l’a en lui, probablement depuis sa naissance, en mai 68…
Nous vivons dans un monde où, malgré la diversité, les prises de paroles et les prises de conscience, il est toujours aussi difficile de cultiver sa différence. S’épanouir en 2022, en affirmant sa façon d’être, sa particularité, n’est pas une sinécure, loin s’en faut. « Les pantoufles » nous donne modestement des motifs d’espoir. C’est le genre de livre qui s’achète, qui se lit et qui s’offre. Ou qui se prête d’ailleurs. Autant, je ne prêterai jamais mes pantoufles, autant ce bouquin avec grand plaisir.
Les pantoufles de Luc-Michel Fouassier est aux Editions Folio.