Le 15 avril 2011
Raphaël,
Je me souviens de mes dix-sept ans. Lorsque tous les matins je descendais les marches qui me menaient au lycée. Je voudrais parfois retourner le loquet de la porte de philo. Et rentrer, dans cette vieille salle au parquet souvent limé par les pas des lycéens, pleine d’encre et de ratures. Sur une table, il y a des mots coquins, notre table. Les phrases que tu n’osais me dire, tu les écrivais. Tout ces petits mots d’amour m’arrachaient un sourire tandis que résonnaient sans échos des citations d’Hegel et de Kant. Nous sortions à la pause et, d’un pas sûr, tu allais vers la machine à café pour prendre un cappuccino dans un gobelet en plastique marron. Pas pour toi mais pour moi. Je te rendais la monnaie d’un baiser……
– J’arrête tout de suite ou tu m’expliques.
– C’est une lettre que j’ai reçue, tu sais mon premier amour. Je l’ai croisée, il y a quelques jours et il a bien fallu que je lui laisse mon adresse pour qu’elle me lâche.
-C’est qui cette pute ?
-Un déchet de l’humanité, elle est partie en ribambelle de conneries après notre rupture.
– Ca va j’ai compris, le genre de fille qui a plus ouvert ses cuisses qu’un livre. Elle a vu que tu avais réussi et elle a voulu devenir une poule de luxe. Cela doit la changer de ces fans de tuning aux cheveux gras et à la voiture confortable.
– C’est à peu de choses près le résumé de sa vie mais c’est quand même un peu de la mienne. Je me sens un peu responsable. J’ai l’impression d’être pour quelque chose dans cette ” Histoire “
– Bon je te laisse, le chevalier blanc. Tu n’as qu’à faire un chèque à la Croix Rouge si tu veux apaiser ton spleen de petit bourgeois. Mais n’insiste pas, je n’ai pas envie de voir débarquer Cendrillon avec un des nains. On a, déjà, des problèmes avec le gamin de la voisine.
Je prends mon café et je m’approche de la fenêtre. Il fait beau. J’entends des cris dehors. J’écarte le rideau rouge acheté par Eve chez Ikea de la main droite. Je tiens ma tasse à café « I love my wife » orange dans les mains. Il y a une manifestation étudiante. Je regarde et cela n’a pas changé. Je me vois criant sur le gouvernement en place contre je ne sais quelle réforme. Les réunions dans les amphithéâtres, les banderoles et les chants partisans sont autant de moments qui feront sourire plus tard. Je nous revois, faisant semblant d’admirer la conscience politique de quelques demoiselles pour pouvoir les inviter au café et discuter de ces sujets. Le monde et Charlie hebdo m’ont beaucoup servi pour attirer dans mes filets de jolis minois. Finalement, tout tourne autour de ces fleurs du mal, en tout cas pour les hommes. Tiens, il y a un groupe de jeunes garçons avec pour ligne de mire des fantassins en string et taille basse, une légion de féministes. Ils marchent en cœur et chante en chorus. Ils rient. Je remarque plusieurs fripes portant la marque Che Guevara, des drapeaux de tous horizons et le professeur syndicaliste qui énonce sans renoncer ses suppliques. Je me suis toujours demandé ce que deviendrait ce genre de personne si le monde était parfait. Ils s’ennuieraient, probablement, et écriraient un livre sur le temps d’avant en se prenant pour des héros modernes. En face, la police s’approche à pas lourds et froids. Les étudiants s’arrêtent. Ils haranguent les forces de l’ordre qui, silencieux, les contemplent. Ils ont le regard vide, ces étudiants et ces flics qui ne comprennent pas trop ce qu’ils font là. Je crois bien que les deux parties ont une place à tenir, comme ces mercenaires qu’on payait pour être en première ligne. Avant, on défilait dans la rue par procession, ce n’est pas si loin de protestation. Je suis fier de regarder tout ça, comme un sexagénaire ses pigeons. Je ne suis pas beaucoup plus vieux qu’eux pourtant, mais la société m’oblige à une stabilité désarmante. Je reste en haut désormais. Je contemple du haut d’une tour. Les manifestants se dispersent et regagnent leurs pénates avec le sourire du devoir accompli, les policiers aussi.
Je me retourne vers le canapé et m’allonge. Elle ne va pas tarder à rentrer. Je l’attends avec impatience. Je n’ai pas fait le ménage. Il faut que l’on se décide à créer un emploi. Une étudiante sans le sou fera l’affaire mais jolie évidemment. Ça lui évitera de tourner des pornos pour payer ses études et, en plus, c’est net d’impôt. Je repense à la lettre.
Je vais jusqu’au secrétaire pour prendre mon chéquier. Je signe et je descends poster une enveloppe blanche. Il y a encore des étudiants, perchés, cette fois-ci, sur les tabourets d’un cafetier avec une bière. Ils parlent encore. Je m’allume une cigarette avec le petit briquet bordeaux d’Ève.
– Ils ont eu peur les flics.
– Complètement, tu as vu la fille là-bas.
– Sympa, elle fait du baby-sitting. J’aimerais bien être à la place du gosse.
– Attends, elle l’appelle mon fils. Tu te rends compte, elle a du l’avoir à notre âge.
– Tu as vu comment elle s’habille, elle a du confondre pilule et tic-tac. Le pauvre.
La fille là-bas aurait pu être celle de la lettre, et se nommer Stella. Elle a un landau à coté d’elle. Elle fait semblant d’attendre quelqu’un : le père, le prince charmant. Personne ne viendra à ce rendez-vous à part peut-être les deux étudiants en mal de frisson érotique. C’est vrai qu’elle est belle avec son enfant dans les bras.
Aujourd’hui, la Marie-Madeleine ne lave plus rien, elle envoie des lettres. Elle est la Barbie de notre siècle qui a eu un enfant alors que Ken n’était pas là. Elle est un dommage collatéral pendant la guerre des sexes. Elle aurait été rasée, avant, comme si perdre sa féminité c’était perdre sa virginité. Samson n’a plus sa force, elle l’a donné au bâtard qu’elle berce. Le fruit d’un coït de cinq minutes vaut plus qu’un amour de vingt années. Des cris et des bruits de passions cassées ne sont que des nuages qui s’effilochent. « Pas devant le petit ». Les moments de bonheur à trois, les photomatons, les disputes, les monologues, le week-end chez les grands-parents, les soirées sans maman, le regard gris, la monotonie, la dame qui dort dans le lit de papa sont toutes des roses fanées qui courent après l’ivresse d’amour de la première fois. Pourquoi il restera souvent seul à la maison ? Pourquoi ira-t-il souvent chez papi et mamie, pourquoi les visites s’espacent, pourquoi maman va danser déguisée en lapin dans une cage en verre, pourquoi ne dit-elle plus rien, pourquoi elle revient de la salle de bain avec le maquillage qui coule.
La rue devient peu à peu déserte car il commence à pleuvoir. Je lance ma cigarette, un peu énervé, et jette mon chèque de la Croix Rouge dans une boîte jaune. Je rentre rapidement, je crois que c’est encore l’hiver.
rémy
j’aime – je suis de la génération Facebook : je me contente de dire j’aime à tord puis à travers, j’aime et ça reste parfois en travers cette douce langueur, indolente mélancolie je l’aime
nesshogandrwg
J’adore ta manière d’écrire. Le temps passe vite. Trop.