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Au début, il n’y eut rien. Vous connaissez la suite, un homme et une femme, puis une population entière d’humanoïdes se mirent à peupler la Terre. Ce qu’on oublie souvent de rappeler, c’est que parallèlement à ça, l’homme, pour des raisons qui le concernent, de tout temps, a ressenti le besoin de voir la Putain afin qu’elle le remette d’aplomb dans sa petite virilité. Filmer le bordel, et ces personnages qui le peuplent, dans un huis-clos de plus de deux heures, est une idée totalement révolutionnaire, par son aspect inédit.
Seulement, une fois l’idée entérinée, il ne faut pas se moquer du monde, et ne pas faire d’un concept génial un film médiocre. En ça, Bertrand Bonello ne déçoit pas, et réalise une percée remarquée (une de plus) dans le monde étroit du cinéma français d’auteur. Il se paye même le luxe de réconcilier les tenants de deux traditions cinématographiques opposées, qui se crachent dessus à la machine à café. Je m’explique : le bon Bonello, notre digne sauveur, nous montre avec brio que l’on peut réaliser à la fois un film de sujet (la prostitution et son petit univers) et à la fois de pure mise en scène. En effet, ces femmes, résistantes, appartiennent à toutes les époques (c’est même peut-être ta mère, ou ta soeur, cher lecteur), et peu importe finalement qu’elles vendent leur corps.
Claustrophobes de toutes obédiences, abstenez-vous, n’allez pas pousser le vice jusqu’à acheter votre place pour l’Apollonide, qui laisse peu de place au grand air frais, au vol des petits oiseaux. La caméra se tenant constamment au plus près de ces femmes, on assiste à absolument tous les évènements qui rythment leurs journées. De cette façon, on pourrait penser que nous ne sommes pas si éloignés de ça d’une quotidienne de secret story, à la nette différence que les résidentes du bordel possèdent bien plus de dignité naturelle que les vagues mammifères dont on assiste au naufrage minute par minute.
Samira, Clotilde, Julie ou encore Madeleine, enfermées dans cette prison capiteuse, privées de liberté, retenues par des dettes qu’elles ne pourront jamais honorer, ne possèdent pas vraiment l’amour du métier. Elles sont arrivées ici par nécessité, par soif de liberté, sans savoir que ce qui à l’origine était un choix, deviendra très vite un calvaire, leur chemin de croix. Pour mieux supporter ce quotidien peu reluisant, elles vont se soutenir, former une petite communauté extrêmement soudée, complice, qui n’hésite pas à rire du client une fois celui-ci le dos tourné. A la tête de ce petit système, la mère maquerelle règne, et ce rôle nous étonne par sa subtilité tant dans l’écriture que dans l’interprétation (divine Noémie Lvovsky!) : cette femme s’avère étonnamment humaine, dans son histoire personnelle autant que dans ses rapports avec les filles, les clients, …
Dans ce lieu de vice, on assiste à une démystification totale de ce à quoi on pouvait s’attendre. Les hommes qui viennent chaque soir se révèlent être plus des hyènes boiteuses, galeuses, que des guépards au pelage superbe (attention au gros chat noir qui hante le film, il pourrait vous surprendre). En exprimant des souhaits souvent très étranges (des ébats dans une baignoire de champagne, ou, bien plus tragique, un fétichisme malsain de la lame), on finit par se dire que ces hommes font du bordel le lieu où s’expriment les pulsions d’une société où l’on réprime les identités de chacun. La modernité du film vient d’ici, tant le constat reste le même aujourd’hui qu’en 1900.
Cinéaste de toutes les rébellions, Bonello nous montre la Belle-Epoque comme une période finissante, où tout se meurt, où la parure cache mal la pourriture. Au niveau de l’ambiance, on pourrait penser à un réactualisation funk-rock des Fleurs du Mal, avec de divins anachronismes musicaux, et un montage saccadé et inventif. Ce long-métrage vous hante longtemps après son visionnement, et « la femme qui rit » viendra vous aussi vous hanter bientôt, avec son sourire gravé au canif dans la chair, métaphore terrible du long-métrage où derrière les contours apparents les blessures remontent à la surface.