Like a vagin – VIDEODROME

VIDEODROME

Lorsque j’évoquais la dernière fois l’impact déterminant de la VHS sur ma vie de cinéphage j’ai complètement omis de mentionner « Videodrome » de David Cronenberg. C’est pourtant un de mes films préférés, qui me fascine tout autant qu’il m’agace.

Car si il y a bien un truc qui m’énerve quand je regarde un film, c’est d’avoir le sentiment que quelque chose m’échappe, ce qui est exactement le cas ici. J’ai beau l’avoir vu et revu, pas même encore plus tard qu’il y a quelques jours, il me laisse toujours la désagréable et frustrante impression que je n’ai pu l’appréhender dans sa totalité et qu’il me résiste. Cette frustration est malgré tout ce qui rend «  Videodrome » si génial puisque c’est l’effet recherché par Cronenberg, le film jouant sans cesse sur la frontière entre illusion et réalité.

Max, magistralement interprété par James Wood, est à la tête d’une petite chaîne de télé câblée, racoleuse à souhait, proposant des programmes axés sur le porno soft et la violence. Alors qu’il est à la recherche de nouvelles émissions à diffuser, il tombe sur une retransmission pirate appelée Videodrome, montrant des jeunes femmes qui subissent sévices sexuels et torture. Mais suite au visionnage répété des séquences de Videodrome, Max commence à être victime d’hallucinations de plus en plus étranges qui l’éloignent du réel.

Cette sensation d’être sans cesse perdu en regardant ce film provient d’abord du choix de Cronenberg de nous montrer le déroulement de l’histoire uniquement du point de vue de Max. Terre à terre, parfaitement lucide voire un peu cynique, il s’adonne à des rituels sado-masochistes avec Nicky, une animatrice radio rencontré sur un plateau de télévision. Débute alors la mise en abîme puisque qu’il semble tout autant captivé par les images de Videodrome que nous le sommes par les images de « Videodrome », mais celui de Cronenberg dans notre cas.

Le réalisateur interroge, par l’intermédiaire de son personnage principal, nos pulsions enfouies, le plaisir éprouvé face à la représentation visuelle de la violence, de la sexualité et par là même, évidemment, notre coté voyeuriste. Nous sommes donc dès le départ confrontés à nos propres contradictions, tout comme Max qui répétera à plusieurs reprises qu’il ne regardait ces séquences de torture uniquement dans un but professionnel.

Au fur et à mesure que Max hallucine et s’enfonce dans la folie, le questionnement passe sur notre capacité à discerner le réel du virtuel. Videodrome est-il mis en scène ou est-ce réellement en train de se produire ? Sommes nous certains, alors que les hallucinations ont cessé, que ce n’est pas une nouvelle qui la remplace ?

Et au final qui se cache derrière Videodrome ? Il semblerait que ces vidéos, provoquant une tumeur cérébrale, aient pour but d’être utilisées par des yes-men à la solde d’obscurs politiciens afin de dominer les accros du tube cathodique. Mais ces informations viennent du mystérieux professeur Brian O’Blivion, expert en médias, dont on ne connait de lui qu’une identité virtuelle alors que personne ne l’a aperçu depuis des années. Vous suivez toujours ? Non ? C’est normal.

La complexité du scénario et cette théorie du complot vient volontairement accentuer la paranoïa ambiante, nous égarant alors non seulement dans l’idée de virtualité mais également dans celle de la moralité. Que cela soit le bien ou le mal, ces concepts disparaissent car perdent leur sens dans le délire engendré par Videodrome.

Néanmoins, si le rapport aux images caractérise Cronenberg, on peut en dire tout autant de son attrait pour l’organique et le corps humain.

Rick Baker, maquilleur ayant bossé entre autres pour Lucas, Dante, Burton, etc. n’est probablement pas étranger dans le rendu esthétique abasourdissant des hallucinations de « Videodrome ». Le corps de Max s’ouvre au niveau de l’abdomen en une fente vaginale pour accueillir la cassette de Videodrome devenue vivante, des bouches sensuelles sortent de l’écran, un flingue fusionne avec un bras devenant arme de chair et de métal…

Chez Cronenberg tout est sexuel et corporel, tout est fait de fluides et de tissus mais en étant dans le même temps froid et irréel. Ce décalage nous immerge dans un univers poisseux, où nous alternerons sans cesse entre fascination morbide et dégoût instinctif. Cette thématique sera d’ailleurs reprise à nouveau par Cronenberg et explorée sous l’angle vidéoludique bien plus tard dans « eXistenZ » mais c’est une autre histoire ici encore.

« Videodrome » frappe bien entendu en tant qu’œuvre viscéralement dérangeante mais également par sa modernité visionnaire. Alors que nous pataugeons dans la médiocrité avilissante de la télé-réalité et la facilité complaisante des torture movies à la « Saw » ou autres « Hostel », Cronenberg nous expliquait déjà il y a plus de 25 ans l’impact conscient ou non des images. Il me semble donc que ce film devrait être déclaré d’intérêt public et diffusé en boucle sur TF1 à 20H50 le dimanche soir.

Miho

NB : Je ne sais pas si ce trailer est l’original mais il me faisait particulièrement délirer. C’est un pur moment de kitsch des 80’s et je soupçonne fortement les réalisateurs d’avoir pris du LSD en le tournant. Mis à part ça, il n’est pas très représentatif du film, ne reprenant ni l’histoire, ni même les images du film. Donc regardez le quand même, le film.

2 commentaires

  • mikael g
    mikael g

    Je trouve ta proposition des plus pertinente: je vote pour diffuser videodrome tous les dimanche soir à 20h50 sur TF1. Voilà un film visionnaire, qui a su refléter son temps (voir le rapport qu’entretient le film avec son époque) aussi bien qu’il continue de nous interroger encore sur notre présent. Très pertinent en effet, de pointer sur les effets du film qui rappel à quel point elle nous manque, au sens « viscéral » du terme, cette bonne vieille cassette. Je pense aussi qu’il y a une très grosse dimension comique, enfin en tout cas du grotesque, qui fait du personnage de Max, dans le film, une pure figure de cinéma: un corps qui stigmatise une époque (la vhs) ou au moins l’idée qu’on s’en fait (c’est comme avoir un flingue à la place du bras, et pouvoir tirer quand on veut, comparer la cinéphilie à une arme à feu au moment précis de l’apparation croissante de la cassette)! Cela nous ramène à la fameuse phrase de Truffaut « maintenant je regarde Sérénade à trois de Lubitsch trois, parfois quatre fois par semaine »… Merci donc pour ce troisième et succulent article sur les films qui t’ont bercé! Je pense que tes tiroirs sont bien rempli de cassette pour nous en offrir plein d’autres textes qu’on attend avec impatience!

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  • Miho
    Miho

    Merci! C’est un peu corporate de s’envoyer des fleurs entre chroniqueurs mais on s’en fout.

    Tu as pointé un truc qui m’avait échappé jusque là et qui est pourtant assez récurrent chez Cronenberg, c’est l’aspect grotesque. Bien vu, c’est vrai que ses personnages ont toujours un côté excessif, un peu débile, mais qui les rend d’autant plus attachants.

    Du coup je vais devoir revoir ‘Videodrome’ encore une fois !

    Au plaisir de te lire.

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