NO_ONE EVER REALLY DIES, le nouveau départ du groupe N*E*R*D

Fin 2010, les N*E*R*D* sortaient Nothing, un opus d’une dizaine de chansons qui, en dehors d’une petite poignée de titres divertissants et une collaboration remarquée avec Daft Punk, a suscité l’enthousiasme d’un groupe qui recyclait sa recette, signe d’une arrivée en bout de course. Il fallait posséder la version US avec ses quatre tracks supplémentaires pour y trouver son compte (et encore). Avec le recul, Nothing marquait la fin d’une époque pour Pharrell Williams, Chad Hugo et Shay Haley, car ce fut donc leur dernier projet sur leur label historique Star Trak et leur dernier produit sous leur nom immortel The Neptunes. D’autres extraits des NERD ont fait surface depuis pour la soundtrack de Bob l’Eponge notamment, affichant une tournure pop qui n’était pas du goût de tout le monde. Sept ans plus tard, l’éternel jouvenceau Pharrell impulse le retour de sa bande par le biais de son nouveau label I am OTHER et le résultat de ce travail, qu’il a entièrement produit, a donné ce cinquième album épo-acronyme NO_ONE EVER REALLY DIES. Plus qu’un retour, un vrai nouveau départ

N*E*R*D

Il suffit d’à peine quelques secondes pour que “Lemon“, le premier single et premier titre du disque, interpelle. Et qu’on n’accroche ou pas à ce clavier ultra-minimaliste, le renouveau stylistique du groupe est clairement affiché, telle une nouvelle ligne de mode vestimentaire disignée par Pharrell. Sur ce beat énergique à la fois bounce et trap, Mr Williams balance des messages politiques et au passage il écrit les deux couplets de Rihanna, qu’on entend rapper (!) pour la première fois et sans qu’elle soit extraordinaire, ça fait son effet avec ces références aux automobiles de luxe et Star Trek. L’expérience de “Lemon” devient totale avec le clip où la chorégraphie de Mette Towley rend le morceau plus hypnotique et addictif encore. Enchaîne alors “Deep Down Body Thurst” qui surprend par la douceur de son introduction avant de lâcher les chevaux pour le refrain avec une rythmique de hi-hat comparable à “Part Time Lover” de Stevie Wonder, le tout sur un beat résolument moderne cela va de soi. La troisième piste “Voilà” continue sur des riffs funky avec un refrain magique signé Gucci Mane, les sonorités sont déjà plus familières. Puis arrive le second single “1000” (lire “one zero zero zero”), un autre puissant extrait qui ne ménage pas les baffles, sur lequel le trapeur Future apparaît pour un couplet et Shay qui débarque dans un passage house music en vitesse lumière. Cette incitation au renversement est complètement démentielle, ce qui rappelle que le compte Twitter du groupe est  @nerdarmy d’ailleurs.

N*E*R*D

Le tiers de l’album vient d’être parcouru et fort est de constater que la rupture stylistique avec leurs débuts (In Search Of, Kaleidoscope de Kelis…) est nette et consommée. Si vous vous attendiez à un retour aux sources, vous vous mettez le doigt dans l’oeil jusqu’à coude. À la limite, pour les points de comparaisons, on retrouve des arrangements de guitares similaires ceux de Fly or Die et une énergie créative digne de Seeing Sounds. Halala que ça paraît loin leur alliage de kicks, snares et synthés (dix-sept ans oui)… Aujourd’hui avec ce renouvèlement, on a droit à un nouveau kit complet de batteries, des séquences de voix répétées et des gammes de synthétiseurs inédites dans leur répertoire. Les N*E*R*D cultivent toujours leur anticonformisme avec tous ces ingrédients nouveaux, mais leur philosophie n’a pas changé d’un iota. Partout on y retrouve, dans chaque morceau, tous les éléments essentiels d’un album des N*E*R*D : de l’imprévu, des cross-overs expérimentaux (hip-hop, rock, funk, electro, jazz et maintenant trap), de l’énergie à foison, de la créativité illimitée, des propos qui s’adressent à la jeunesse et en filigrane des saillies socio-politiques.

Donc on reprend le fil de l’écoute qui promet pas mal de surprises (“attention spoilers” comme on dit sur les sites ciné). Toujours dans une veine funky, “Don’t Don’t Do It” fait très bien son office envers les officiers de police, avec en soutien Kendrick Lamar dans mood proche de celui de “I“. L’auteur de DAMN. revient donner la réplique à Pharrell (leur synergie fonctionne à merveille il faut dire) sur “Kites“, un titre à l’instrumental très ludique qui convie également la provocatrice anglaise M.I.A. Plus pop, “ESP” ressemble à une collaboration avec les Gorillaz (sans les Gorillaz) ce qui peut paraître déconcertant et cette impression reste bien incrustée quoi qu’on fasse. Mais les N*E*R*D ont plus d’un tour dans leur sac et surprennent une fois de plus avec le jazz bounce cadencé de “Rollinem 7’s” avec Andre 3000 en joker, incroyable comme à son habitude (et dire que cette collaboration a failli jamais ne se produire!). Puis c’est reparti pour un groove infecté de funk avec ces petits synthés entêtants avec “The Secret Life of Tigers“, avec une méchante couche de basses électroniques pour le turn-up. Rien à voir avec le final très tranquille proposé par le riddem reggae de “Lifting You” (avec Ed Sheeran), utilisant le même type de clavier minimaliste style vieilles consoles de jeux que “Lemon”, pour boucler la boucle.

Onze tracks seulement me direz-vous pour NO_ONE EVER REALLY DIES, mais demeure cette impression d’avoir écouté moitié plus. La raison : la plupart des chansons sont décomposées en deux ou trois parties, intégrant soit des variations de beats avec les mêmes éléments musicaux (le passage de Rihanna sur “Lemon“, la partie centrale de “Rollinem 7’s“, etc…), soit avec un changement complet de l’instrumental (la sortie reggae de “Voilà” avec Wale, le bridge house “1000” et celui de “ESP” où Shay s’en donne à coeur joie avec des adlibs à la migos). Pour aller d’un point A à un point B, les N*E*R*D utilisent plusieurs chemins ce qui rend la découverte de l’album plus fun. On regrettera toutefois un “Lightning Fire Magic Prayer” beaucoup trop long (7min45) malgré une non-linéarité qui évolue comme la météo. Il est vrai que le rôle de Pharrell est particulièrement prépondérant sur ce projet. Comme à l’accoutumée, il est toujours très difficile de deviner à quoi sert Shay à part jouer les side-kick, un peu comme l’indien des Black Eyed Peas. En revanche, l’implication de Chad Hugo est totalement passée au second plan. Il est indiqué comme musicien sur la moitié des titres comme joueur de synthétiseurs divers et variés, et comme producteur additionnel de “ESP” (pour la seconde phase?). Frustrant quand on sait de quoi il est capable. En revanche, si ça peut consoler, sachez que le super bassiste Thundercat joue les lignes de “Deep Down Body Thurst” et “Voilà” tandis que Frank Ocean co-écrit “Don’t Don’t Do It“.

Sans être exempt de quelques défauts, avec NO_ONE EVER REALLY DIES nous assistons pratiquement à une renaissance des N*E*R*D. Ce patchwork qu’est ce cinquième album peut être un vrai plaisir à écouter, à condition de ne pas trop être difficile. Nos trois rebelles ont beau avoir passé la barre de la quarantaine, leur musique sans genre ni âge est une source d’énergie renouvelable.

Sagittarius (sagihiphop.com)

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