«Je me demande si c’est une plaisanterie, mais ce n’en est pas une. »

Michèle est une femme indépendante,  friquée et fatiguée. Son environnement sentimental est dévasté : une mère excentrique qui souhaite se remarier à un tout jeune homme, un amant ennuyeux qui est le mari de sa meilleure amie, un ex mari un peu trop collant, un fils irresponsable dont la petite amie est enceinte d’un autre… et surtout un père incarcéré pour avoir massacré 70 enfants. Michèle se débat au quotidien dans ce paysage toxique jusqu’au jour ou elle se fait violer, décide de ne rien dire, tombe sous le charme de son voisin, découvre qu’il s’agit de son agresseur, mais continue de vivre une relation intime avec lui.

Philippe Djian est né le 3 juin 1949 à Paris. Grâce à l’impulsion d’un camarade de classe qu’il admire, il commence à écrire en échangeant avec lui des correspondances quotidiennes. Plus tard, un professeur lui fait découvrir entre autres Céline et Faulkner, qui seront des révélations pour Djian. Sa passion pour la littérature est née. Inscrit dans une école de journalisme sans y mettre vraiment les pieds, l’auteur enchaine les petits boulots. C’est de nuit, alors qu’il travaille au péage d’une autoroute, qu’il rédige son premier recueil de nouvelles, « 50 contre 1 ». Le succès arrive avec « 37.2 le matin » – génialement adapté au cinéma. A partir de ce moment là, les voyages et les déménagements se suivent, les petits boulots ne se ressemblent pas. Djian est également l’auteur de « Maudit manège » -la suite de « 37.2 le matin »-, de « Vers chez les blancs », d’« Impuretés », de « Vengeances » ou encore de la série « Doggy Bag », largement inspirée de « Six Feet Under », dont l’auteur est fan.

Dès les premières pages du livre, aucun doute, nous sommes de nouveau happés par l’univers de Djian : Les prénoms des protagonistes aux personnalités alcoolisées, butées et paumées rappellent ceux des romans antérieurs à « OH… » : Djian pose ses références, ici Bret Easton Ellis et Charles Bukowski. La météo y est toujours aussi pesante et tourmentée. L’hiver est rude, la neige abondante et silencieuse, le vent affolant… à l’image des émotions et sensations de Michèle. Les coups bas et les épreuves s’enchainent, l’univers est sans pitié. Djian a rappelé, lors d’une apparition dans « La grande librairie », qu’il suffisait de regarder le journal télévisé pour y découvrir un quotidien d’une trivialité sordide. C’est à travers ce prisme que l’auteur perçoit le monde : ayant dépassé la soixantaine, les évolutions de notre société lui sont davantage flagrantes qu’à ses contemporains. Djian constate un manque général de convictions et de combativité, une certaine corruption de notre pays, la violence de nos rapports sociaux et nos difficultés à nous parler, à nous faire comprendre.

« OH… » est avant tout un roman féministe écrit par un homme : pour la première fois, Djian rentre dans la peau et les mots d’une femme : Michèle a beaucoup souffert dans la vie, mais n’en témoigne pas moins une rage de s’en sortir. Ainsi, suite à son viol et aux menaces que continue  de proférer le violeur contre elle, elle n’éprouve aucune peur et souhaite au contraire régler son compte à ce pervers avec ses propres moyens. Quand elle découvre que ce monstre n’est autre que le voisin qu’elle a pris pour amant, elle décide de se prêter aux jeux sexuels d’un homme exclusivement excité par les rapports de force. Mieux, la situation se renverse et le viol devient un scénario attirant pour Michèle, qu’elle finit jouer contre un homme désormais rendu primaire, submergé d’émotions incontrôlables. Le viol devient ici le fantasme sexuel d’une femme qui l’utilise pour prendre complètement le contrôle sur sa vie.

Seulement voilà, aucun d’entre nous ne peut réellement se détacher de son histoire familiale : derrière l’indépendance et la volonté de Michèle se cache l’ombre du père. Mourant, il réclame sa fille à son chevet. La fille critique sa mère qui  n’a jamais cessé de rendre visite en prison à ce père qui a gâché leur vie. Michèle ne peut pas le comprendre. Dans ce livre dense, où les paragraphes sont soudés les uns aux autres et les scènes les unes aux autres, il n’est pas uniquement question de Michèle, qui, malgré tous ses efforts, ne peut tirer un trait sur son passé. Tout comme sa mère, libre et indépendante, elle mène la vie qu’elle veut, se moque du reste, mais surtout entretient un lien malsain avec son bourreau. Djian transforme la famille en laboratoire de la vie… de la folie.

Titre : « OH… »

Auteur : Philippe Djian

Éditeur : Gallimard

 

ISBN : 978-2070122141

 

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