Precipice Fantasy Part. I de Koudlam, une incantation magique

Avec ce nouvel album, Koudlam offre une expérience sensorielle vertigineuse, entre sommets et précipices, et propose la bande-son parfaite de notre époque décadente.

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… puis j’ai relu tout ce que j’avais pondu la veille, et j’ai tout balancé à la poubelle.

J’ai viré toutes ces conneries que j’avais écrites à base de toad licking, de Livre des Morts tibétain, de poupées Vaudous, de champignons magiques d’Alice au Pays des Merveilles, et de poche en plastique serrée très fort autour de la tête avec du gaffer jusqu’à voir des images saisissantes qui vous conduisent à un état de mort cérébrale pendant quarante-sept secondes et vingt-cinq centièmes (record du monde). Ça n’avait pas sa place ici.

Rien ne me semblait assez puissant en comparaison de l’album de Koudlam.

Vous n’allez probablement pas aimer ce qui va suivre.

Parce que vous n’êtes pas prêts.

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Avez-vous déjà entendu parler de Notre Seigneur Koudlam ?

Koudlam est un génie,

Koudlam a toujours des concepts fous,

Koudlam a sorti l’album de l’année,

Koudlam Koudlam Koudlam Koudlam (‘parait que si on le répète quatre fois devant son miroir, il apparaît devant vous vêtu en peignoir-chaussettes avec des Ray-Ban pour exaucer trois vœux. Allez-y, j’ai testé, ça marche. Presque. Si on y croit très fort.)

De prime abord moins exubérant que son précédent album Benidorm Dream, sorti en 2014, et qui explorait la folie nocturne démesurée de cette ville balnéaire du sud de l’Espagne, Precipice Fantasy voit Koudlam revenir à ses premières amours, époque Goodbye et Alcoholic’s hymn. Mais il pousse encore plus loin les curseurs de l’expérimentation, dans toutes les directions de l’espace et du temps. Et franchement ça déchire.

J’aurais aimé pouvoir vous dire que je l’ai écouté en boucle toutes les nuits depuis une semaine, mais j’ai 35 ans passés, deux enfants en bas âge, un travail pas passionnant qui me prend tout mon temps, une passion que je n’ai pas le temps de travailler, une constitution fragile de petit blanc chétif de province, et une dette de sommeil abyssale, c’est malheureux mais je peux plus me permettre. Mais le cœur y est.

Abyssale ? certes, mais comme on dit : abyssus abyssum invocat, n’est-ce pas. L’appel du vide était vraiment trop puissant pour m’empêcher de me jeter la tête la première dans ce Precipice.

2014 – 2022 : huit ans d’attente, d’errance, de frustration. Selon son label, « après Benidorm Dream, Koudlam disparaît des radars, se consacrant principalement à l’ornithologie et à l’étude des primates, pour retrouver un semblant d’équilibre mental ». Et qu’y a-t-il de plus sain, en effet, que l’ornithologie et la primatologie, je vous le demande ?

(à part peut-être la tisane ayurvédique, le régime crudivore, la cabine de cryothérapie et le massage intégral à l’huile de Tea Tree chère à tatie Christiane, franchement je ne vois vraiment pas)

Car, c’est bien connu : l’ornithologie « émeu », et la primatologie peut servir « d’atèle »quand on est bancal (dédicace à mes zoologistes sûrs qui sauront apprécier cette blague à sa juste valeur…).

Bon : Koudlam est devenu expert en gypaète barbu et en babouin à cul rouge. Soit. La belle affaire !

Mais il a surtout eu le temps de concocter une musique de sorcier dans laquelle chaque morceau serait comme une incantation magique, pour un album « inspiré de ses propres errances, comme des récits hallucinatoires et romantiques d’aventuriers du XVII qui voulurent gravir des montagnes vierges, traverser les royaumes de la mort, simplement pour la gloire, et pour s’oublier… ».

Il propose ainsi une sorte de pop électronique vertigineuse et sombre à la gloire des conquérants de l’inutile, des explorateurs du vain, et des découvreurs du sommet du futile, qui se révèle être l’OST parfaite de la vacuité du monde, de nos existences, et de mon réservoir de gazole.

Que ce soit :

– avec des morceaux comme My Church en ouverture de l’album, dans lequel Koudlam prend des airs de David Bowie façon China Girl pour nous introduire à sa secte (C’est le moment de demander : Can I Get a Hallelujah ?),

– avec Precipice Fantasy, premier sommet de l’album avec sa grosse basse et sa voix de fausset autotunée, d’abord assez dérangeant à la première écoute, presque irritant, puis finalement on finit par se laisser prendre au truc (Un petit côté Daft Punk ?) et on en redemande encore et encore,

– avec River et sa guitare sèche qui ravira les fans d’I will Fade Away (présent !) et son chant déchirant « My love, my daughter, My bloom, It’s a river my friend »,

– par l’ambiance rétrofuturiste à la Kraftwerk ou à la DEVO de Waterfall Views,

– avec la déprime pluvieuse (pléonasme ?) de Cats & Dogs et son pitch modifié qui lui donne cette voix grave et ralentie, et il faut bien le dire, un peu inquiétante,

– avec la violence de Grave for a dolphin, deuxième sommet de l’album, folie furieuse aux synthés étourdissants et aux cris de dément, (Une tombe pour un dauphin car, comme l’a dit un célèbre philosophe de l’Antiquité : « Les dauphins sont des violeurs. Méfie-toi des apparences »)

– ou avec Un nouveau départ qui clôt l’album de fort belle manière sur un mode apaisé, (d’ailleurs l’enchainement Grave for a dolphin / Un nouveau départ est mémorable tant le contraste est saisissant. La douce mélodie au piano, les nappes de synthés ambiance Twin Peaks, les cloches désaccordées, la batterie qui arrive et le morceau qui part sur un rythme blues et la voix planante de Koudlam comme éthérée : une certaine idée du paradis. Mon seul regret c’est que le morceau s’arrête trop tôt, 7:15 et pourtant il est beaucoup trop court. Mais pourquoi ça s’arrête, on était si bien),

 

,virgule virgule virgule, mais tu vas la finir un jour, ta putain de phrase à rallonge ? virgule, Koudlam touche à tous les styles, s’essaye à tous les genres, tente et réussit tout, et c’est brillant (et je n’ai même pas évoqué tous les titres, je vous laisse quelques surprises).

L’album propulse l’auditeur directement vers la stratosphère et tutoie les sommets pour le faire planer à l’instar de ces substances étranges et illicites contre lesquelles on tentait vainement de nous mettre en garde en classe de 4ème dans le livre « Drogues : savoir plus, risquer moins » édité par le gouvernement.

« Mesdames et messieurs ici votre capitaine qui vous parle. Nous volons actuellement à une altitude de 12 500 m, la température extérieure est de – 60°C, et si vous regardez sur votre gauche, vous pourrez apercevoir Koudlam très loin au-dessus de nous, qui nous fait coucou perché sur son dauphin volant ».

Sans compter que ce n’est que le volume 1. Le n°2, qui serait prévu pour fin février 2023, est déjà annoncé comme « un disque instrumental et contemplatif, une sorte de musique pour séance de yoga malaisante, celle d’un touriste qui rêvait de gravir l’Everest mais qui n’a plus la force de s’extirper des bas-fonds de Kathmandu ». Autant vous dire que je l’attends avec impatience.

Rendez-vous dans 3 mois pour la seconde partie du voyage, et le retour.

Si vous avez survécu à l’aller.

koudlam

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Precipice Fantasy Part.I – Koudlam – PAN075, Octobre 2022 – Pan European Recording

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