Le temps passe (trop) vite et certains disques vous marquent de façon indélébile, comme des rencontres que vous faites au cours de votre vie. Il y a 33 ans, j’ai rencontré Daydream Nation de SONIC YOUTH et cet album incroyable a radicalement changé ma façon d’appréhender la musique, de l’apprécier et, plus que tout, m’a permis d’ouvrir davantage encore mes oreilles.
Petit rappel : SONIC YOUTH a été formé à New York au début des années 80 et le groupe est resté assez stable dans son line-up à l’exception des batteurs, qui ont changé à 2 reprises et le renfort d’un ou deux amis sur quelques albums. On a donc : Kim Gordon (basse, chant) et Thurston Moore (guitare, chant), couple mythique dans la galaxie Rock et fondateur du groupe, Lee Ranaldo (guitare, chant) et Steeve Shelley (batterie). Arty, dissonant, précurseur, fondateur du Noise Rock et surtout grand influenceur (c’est à eux que l’on doit Nirvana et tant d’autres), SONIC YOUTH aura tout de même sorti la bagatelle de 17 albums studio dont le 5ème, devenu désormais un classique incontournable : Daydream Nation.
Une sortie à une période charnière
Sorti en 1988, en pleine montée en puissance du rock alternatif, des prémisses du grunge et des radios indépendantes, Daydream Nation achève une trilogie brillante initiée avec 2 excellents disques : Evol en 1986 et Sister en 1987 (la meilleure période de SONIC YOUTH étant de 1985 à 1991, de mon point de vue de fan). Ce double disque (chose rarissime dans une production indépendante pour l’époque), dont la pochette est une reproduction de la toile Kerze (bougie) réalisée par le peintre allemand Gerhard Richter, comporte 12 titres aux structures complexes et novatrices. Passons-les en revue.
Teen Age Riot ouvre l’album efficacement et s’inscrit comme un incontournable du track listening durant les tournées. Bien qu’étant le morceau le plus accessible (voire pop par certains endroits), il se veut plutôt revendicatif et illustre l’élan révolutionnaire des jeunes générations, politiquement comme musicalement.
Silver Rocket quant à lui est clairement plus immédiat, plus punk au sens propre comme au figuré. A l’urgence punk s’ajoute un passage chaotique des plus purs sans évoquer le chant saccadé de Thurston Moore, toujours aussi à l’aise dans cet exercice. L’un de mes titres préférés de l’album.
The Sprawl est plutôt atmosphérique. On ressent comme une longue improvisation soutenue par une basse constante et intégrant des boucles rythmiques diverses et variées. Parfois inquiétante, la voix de Kim Gordon rend l’atmosphère oppressante.
Cross The Breeze : un titre qui, au démarrage, se veut plutôt calme avec ses arpèges clairs est in fine l’un des plus hardcores joués par le groupe. L’un des meilleurs titres de l’album et indubitablement dans le top 5 de mes chansons préférées du groupe. Bref, un titre juste incontournable qui plaira à n’importe quel guitariste.
Eric’s Trip fait la part belle aux drogues hallucinogènes et au LSD. Cette fois-ci, c’est Lee Ranaldo qui chante et le morceau est empreint d’effets wah wah qui donnent une tournure bizarre à l’ensemble. Un mélange d’arpèges, de dissonances et d’accord barrés puissants.
Total Trash se veut davantage post-punk à la fois mid-tempo et entraînant avec des effets de delay plutôt bien placés. Sans parler du pétage de plombs sonique en plein milieu du morceau pour toujours surprendre l’auditeur.
Hey Joni chanté de nouveau par Lee Ranaldo (qui a la voix la plus mélodieuse au sein du groupe) est un hommage direct à la chanteuse et musicienne Joni Mitchell. La composition est d’un très haut niveau mixant les ambiances, les arpèges et les riffs rageurs.
Providence est un interlude hybride, un collage sonore d’un peu plus de 2 minutes agrémenté de notes douces jouées au piano. Une pause dans l’album, une respiration.
Candle est plus progressif dans sa structure. À l’instar de Cross The Breeze, la chanson débute par un arpège clair et tranquille avant de gagner en intensité tout en restant cool. Le titre dessine la direction que prendra le groupe par la suite, notamment sur Goo.
Rain King avec Lee Ranaldo derrière le micro se veut le morceau le plus inquiétant. La tension y est permanente, les riffs noisy et les effets s’entremêlent de façon cohérente soutenus par la rythmique efficace de la batterie de Steve Shelley.
Kissability est l’un des morceaux où Kim Gordon se lâche et où Steeve Shelley innove le plus dans son jeu de batterie. Intéressant, puissant et obsédant.
Trilogy est le dernier titre et aussi le plus long, près de 15 minutes. Il est composé lui-même de 3 parties distinctes mais liées entre elles. The Wonder est juste énorme et particulièrement tendu, suivi d’Hyperstation, plus inquiétant et posé et s’achève avec le final destroy Eliminator Jr (clin d’œil à ZZ TOP), morceau Hardcore extrêmement rapide où Kim Gordon explose de rage. Une chanson incroyable pour clôturer cet album phénoménal.
En résumé :
Il est difficile de décrire l’émotion procurée par Daydream Nation, le mieux est de l’écouter. Ceci étant dit, le disque est une pierre angulaire à double titre : pour la carrière de SONIC YOUTH d’abord (dernier album réalisé de façon indépendante, ils signeront par la suite sur un gros label, Geffen, et sortiront successivement Goo et Dirty, leurs albums les plus mainstream), pour le rock Indépendant en général car avec Daydream Nation, au-delà de susciter des vocations, de rassembler positivement les avis critiques et publiques, ils ont démontré que la musique dissonante (voire exploratoire) plaisait et fédérait.
Daydream Nation pourrait nécessiter plusieurs écoutes, non pas parce qu’il s’avérerait inaccessible mais davantage pour en saisir toutes les subtilités et les nuances. Tout s’imbrique parfaitement, de façon cohérente et homogène pour aboutir à un monument à la fois mélodique et bruitiste de 70 minutes, à mon sens, sans égal encore aujourd’hui.
Inscrit au patrimoine américain et figurant dans le Top 500 des meilleurs albums de tous les temps, inutile de vous préciser combien Daydream Nation a été important pour la musique et pour tous les groupes (NIRVANA, PAVEMENT, DINOSAUR Jr, MUDHONEY, BLONDE REDHEAD, BECK .. et j’en passe) qui ont sévi durant les 90’s … et après.
Bref, j’ai envie de dire merci SONIC YOUTH et Forget the future, these times are such a mess!
On ne fait pas plus actuel.
PLAY IT LOUD!