Sheeler ou la simplicité magnifique de l’industrie

J’étais en train de relire L’évènement anthropocène pour entretenir mon coup de déprime dominical quand a surgi de ma mémoire la personne de Charles Sheeler.

Sheeler c’est un artiste des années 30, appartenant au mouvement des Précisionnistes après avoir rencontré les cubistes à Paris. Il a produit quelques œuvres dans les années 20 avant de se tourner vers la photographie commerciale. Le peintre est pourtant relancé en 1939 grâce une commande du magazine Fortune.

Sheeler c’est la ligne de fuite qui donne un souffle frais à des ensembles industriels. La poésie du métal luisant, des couleurs douces, des images si photoréalistes qu’elles semblent abstraites. Sheeler c’est l’enthousiasme muet de la machine, d’un certain sens du progrès, de l’avenir rayonnant et terriblement destructeur. Sheeler c’est un œil de photographe qui sait donner de la force aux angles et aux perspectives.

J’aime particulièrement Suspended Power, d’une douceur incroyable alors que nous contemplons une hélice.

Il s’agit d’une turbine hydraulique, engin gigantesque qui surplombe le vide. Les hommes sont si petits qu’ils laissent présager la naissance d’un pouvoir que l’on ne contrôle pas. Une augure d’un capitalisme écrasant, d’une industrie dévorante.Ce sublime de précision des ombres et justesse des lumières se retrouve aussi dans Conversation, choisissant un angle inverse à Suspended Power, la tour électrique reste au centre, imposante et même un peu inquiétante malgré le ciel bleu.

Sheeler est simplement un homme de son temps, rompant avec la mode du paysagisme des États-Unis, il participe à cette célébration quasi nationaliste de la puissance technologique. On voit par exemple naître La Machine Age Exposition (1927) à New-York, qui rassemble architecture, ingénierie, art moderne et industriel.

Water représente bien cet esprit. Le sujet reste simple : un pipeline en perspective. Pourtant il dégage quelque chose de surréel, des airs de SF comme du Lovecraft ou des environnements tels que ceux de Dune (celui de Lynch) ou de Bienvenue à Gattaca.

L’escalier hélice ou ADN de Bienvenue à Gattaca. ©Columbia Pictures

Chez Sheeler la Technologie remplace les déités qui habitent les tableaux de la Renaissance, en leur offrant un sublime égal.

Finalement, s’il y a bien une chose qui me rassure dans ce spleen dominical, c’est qu’il y a toujours une fuite possible dans un tableau, ou dans le Beau.

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