Tchernobyl fantasmé, Tchernobyl sublimé

« Dans ce métier, seul à gratter sur ma planche, j’ai souvent l’impression de voir le monde à travers une vitre ».

« D’être « à côté » ».

« Cette fois-ci, le monde, je le sentirai dans ma peau ! »

« Bien sûr, c’était risqué… »

« Mais tellement excitant ! »

« J’allais découvrir des zone interdites où rode la mort ». un-printemps-a-tchernobyl-bd-volume-1-simple-432192

                                                                                            

On ne parle ni de fiction, ni du récit d’un voyage de manière romancée : des faits, juste des faits. Un véritable reportage en bande dessinée. Emmanuel Lepage, qui fait partie de l’association Dessin’Acteurs, nous raconte son expédition à Tchernobyl, puisqu’il a pris part à la résidence d’artistes créée sur place par l’association en question.

La perspective de se rendre à Tchernobyl, c’est l’interdit et le danger ultime de ces zones désormais prohibées pour l’Homme. Tout comme les pôles, ou les déserts, cette zone fait partie d’une limite à l’exploration de l’Homme, non pas parce que les conditions de vie y sont tout simplement compromises, mais à cause de l’accident nucléaire dont on aura tous entendu parler, qui a eu lieu en avril 1986 et a « rayé », d’une certaine manière, la zone de la carte.

Se rendre à Tchernobyl aujourd’hui, c’est mettre sa santé en péril, et ce pour encore très longtemps, la zone étant toujours intensément radioactive. Pourquoi prendre ce risque alors ? Pour raconter Tchernobyl, raconter les mensonges, décrire les conséquences, et sensibiliser les esprits sur le problème du nucléaire – La France, avec ses 58 réacteurs et ses 1100 sites renfermant des déchets nucléaires – est le pays le plus nucléarisé au monde par rapport au nombre de ses habitants.

 

A titre d’exemple, la Bretagne, qui a refusé l’installation d’une centrale nucléaire en 1980 sur sa région, serait de toute façon touchée en cas d’accident nucléaire en France, et en subirait les conséquences, tout comme une bonne partie de l’Europe. C’est dire l’impact de l’accident potentiel.

 

Emmanuel Lepage, né en 1966 à Saint-Brieuc, fait à 13 la rencontre de Jean-Claude Fournier, le dessinateur de Spirou, ce qui fait éclore puis confirme sa passion pour le dessin. Il ne commence pas de tout de suite les récits de voyage qui finiront par consacrer sa notoriété. C’est en 2003 seulement qu’il crée Muchacho, œuvre sensible et engagée – considérée comme son chef-d’œuvre. Récemment, il a également publié le sublime et donc notable Voyage aux iles de la désolation.

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Lepage, en se rendant sur les lieux de cette grande catastrophe nucléaire, s’attendait à n’y trouver que des maisons abandonnées, le malheur, la maladie et la mort. Pourtant, au cours de ses expéditions en terre interdite, et malgré la radioactivité intense -même si invisible – il ne pourra pas s’empêcher de remarquer la beauté des lieux revenus à l’état sauvage et l’éclat des couleurs. Le trait fin et puissant, ses illustrations sont au départ la transposition d’un fantasme sur les lieux : les dessins sont sombres, terrifiants, mais laissent peu à peu la place à la couleur et à la vie, au rythme des rencontres avec les habitants qui sont restés vivre autour de la zone interdite malgré le danger, et de la découverte d’une nature aussi belle que toxique. L’auteur s’est posé la question, à de nombreuses reprises, de savoir comment dénoncer l’horreur de cet accident quand ses sentiments lui donnent envie de parler de la « beauté » de ce séjour en ces lieux. La réponse en est simple : la vie toujours, est la gagnante.

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Je ne connaissais pas Emmanuel Lepage avant qu’il commence les récits de voyage et les récits engagés. Parfois l’un, parfois l’autre, souvent entremêlés. C’est ce qui m’a attirée : cette idée de partir, de découvrir le monde qui nous entoure pour en témoigner. Quand on bénéficie d’un talent particulier, d’un médium pour s’exprimer « autrement », il me semble nécessaire qu’il soit, sinon tout le temps au moins souvent, utilisé pour sensibiliser à la prise de conscience. Le nucléaire est un sujet qui fait toujours débat à l’heure actuelle, Tchernobyl n’est pas un évènement dont nous ignorons qu’il se soit produit, mais il est toujours utile de rappeler que la zone et ses habitants en subissent toujours les conséquences aujourd’hui, que le pouvoir politique français nous a baladé et peut encore le faire puisque les intérêts économiques seront toujours plus forts que la santé de quelques personnes et qu’une centrale nucléaire, peut importe ce qu’on en dira en termes de sécurité, n’est ni plus ni moins qu’une bombe à retardement.

 

«… Gildas, tu crois qu’on peut dire « Tchernobyl, c’est beau » ? »

« Je sens confusément l’ambigüité de ces mots collés l’un à l’autre »

« Pourtant c’est ce que me souffle mon dessin ! »

« La mort a ce visage ? »

« Ça ne colle pas. »

« On ne m’a pas envoyé ici pour revenir avec ça ! »

Titre : Un printemps à Tchernobyl

Auteur : Emmanuel Lepage

Editeur : Futuropolis

ISBN : 9782754807746

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