Nicolas regarde la désolation et la grisaille depuis la fenêtre de son appartement qui surplombe l’esplanade de La Défense. Personne, la vie est comme en suspens. Il écoute un vieux standard du swing : « Minnie The Hootcher » de Cab Calloway et déguste un verre de Nikka, un whisky japonais, devenu rare depuis la catastrophe de Fukushima et les radiations qu’elle a engendrées. Sa sœur, chercheuse, lui avait rapporté une caisse lors de son dernier séjour au Japon. Il est dépité. En 2020, la planète a été touchée par le Coronavirus qui depuis a bien muté. Chaque personne touchée se transforme irrémédiablement en zombite.
Les gens infectés deviennent des zombies pourvus d’une énorme bite en érection constante dont ils se servent comme une massue pour assommer les vivants, les dévorer et les infecter à leur tour. D’ailleurs, victime collatérale de cette pandémie d’un nouveau genre, la société VIAGRA n’a pas survécu et a déposé le bilan. On se croirait vraiment dans un mauvais remake de World War Z mais c’est bien la triste réalité. Désormais, le confinement est total, plus personne ne doit (voire n’ose) sortir et même l’Armée se fait discrète. Ces zombites semblent incurables. Heureusement qu’Amazon a industrialisé la livraison par drone de toute taille dans le monde entier. Si tu as envie d’une pizza, besoin d’un aspirateur, d’une machine à laver, de PQ, le drone Amazon est là en moins de 2h. Directement chez toi, c’est pratique.
Les yeux dans le vague, la voix de Cab Calloway le ramène à son idylle avec Claire. Une ex qu’il n’a jamais vraiment réussi à oublier. Leur goût pour l’art, la musique, le vin et le sexe les avait réunis et ils communiquent encore de temps à autres. Il espère secrètement la reconquérir, sans trop y croire et s’en convaincre véritablement, mais elle semble si lointaine maintenant et pourtant elle n’est pas si éloignée, quelques kilomètres les séparent … Ses pensées mélancoliques et son attention sont subitement attirées par des cris d’effroi provenant de l’esplanade. Un sans-abri hurle alors qu’il est poursuivi par 7 zombites. Nicolas ne se fait pas d’illusions, même si le type a beau courir comme Usain Bolt, en ces circonstances particulières pour lui, il se fait rapidement coincer, biffler sauvagement et bouffer. Et un zombite de plus !
La routine. Ça le rend fou. Il boit une gorgée de whisky et repose le verre. C’est alors qu’il entend du bruit provenant de la porte d’entrée. Il se retourne et hallucine : un putain de zombite a crocheté sa porte et s’approche de lui en clamant des borborygmes. « Mais c’est quoi ce bordel ? Qu’est-ce que tu fous-là toi putain de zombite !? ». Nicolas tourne autour de la table de la salle à manger, poursuivi par le zombite. On se croirait dans un vieux cartoon du genre Tom et Jerry. Nicolas saisit le porte-manteaux qu’il balance à la tête du zombite. Sans effet, ce dernier le brise avec sa bite. La course-poursuite autour de la table reprend et Nicolas trébuche s’étalant de tout son long sur le parquet et s’ouvrant la lèvre inférieure. Il se retourne et voit le zombite foncer sur lui, bouche ouverte déageant une haleine fétide en prime. Il prend le verre de Nikka posé sur la table basse et jette le whisky au visage du zombite. Celui-ci est instantanément statufié. Nicolas, haletant, vois devant lui une statue zombite totalement immobile, ses traits sont figés, comme son énorme bite du reste. Nicolas se relève, s’approche de l’étrange statue et se dit, en baissant le regard vers l’énorme protubérance, qu’il a trouvé un objet de substitution à son porte-manteaux, cassé en deux. Il reprend ses esprits et réfléchis.
Qu’est ce qui a eu raison du zombite ? Le whisky ? Ce n’est pas possible mais pourtant cela ne peut-être que la seule solution. Le Nikka a peut-être eu un effet dévastateur et décelé une fragilité irrémédiable sur la peau des zombites. Il tourne la tête vers la caisse de whisky et a une idée brillante. Il file dans sa chambre, ouvre l’armoire et trouve 2 pistolets à eau et 1 NERF en forme de mitraillette qu’il avait achetés cet été lorsque son neveu était venu pour une semaine de vacances. Il remplit de whisky le premier pistolet et tire sur le zombite. Bon, le zombite ne bouge pas, il est bien mort, voire « remort ». Tel Rambo , il remplit ses armes de whisky et prend des petits ballons dans lesquels il verse le précieux breuvage pour en faire des espèces de ballons grenades.
Nicolas a toujours été créatif et imaginatif, c’est ce qui lui disait Claire. Des hurlements stridents l’interrompent dans ses préparatifs, il entend la voisine hurler comme jamais. D’habitude, c’est quand elle se fait déglinguer par son amant qu’il l’entend hurler de la sorte mais un doute l’habite car l’amant n’est pas venu depuis belle lurette, confinement oblige. Par manque de courage aussi, peut-être … Puis, le silence, lourd et total règne de nouveau. Quelques secondes passent et de nouveaux cris horribles, toujours à son étage. Les zombites qui ont attrapé le sans-abri ont certainement investi son immeuble. Il est temps de se casser mais pour aller où ? Rapidement, il décide d’aller voir Claire qui habite vers Bastille. Il n’y a plus de métros et la circulation en voiture est interdite dans Paris. Il opte pour sa trottinette électrique entreposée à la cave et décide d’aller la chercher. Nicolas, équipé de la tête aux pieds, armé de ses jouets en plastique, ouvre la porte de son appartement et jette un œil discret dans le couloir. Tout est calme.
Il voit au bout du couloir les zombites bifurquer vers la droite et s’éloigner. Il en profite et sort, filant directement vers les escaliers de secours. Il descend les 8 étages et arrive enfin au niveau des caves. Sans réfléchir il fonce, tendant le NERF devant lui si jamais un zombite se trouvait dans sa ligne de mire. Il arrive face à sa cave, saisit le code **** et ouvre. Sa trottinette est là, poussiéreuse, mais la jauge d’énergie affiche un taux de 50%. Il la prend en bandoulière et remonte prudemment vers le rez-de-chaussée. Il n’y a personne dans le hall d’accueil, tout est calme à part les cris lointains qui émanent des étages supérieurs de son immeuble. Il vérifie une dernière fois son équipement : ses ballons grenades sont correctement attachés à sa ceinture et il prend le NERF dans sa main droite. Il sort, personne, la voie est libre. Il monte sur sa trottinette et envoie les gaz vers Paris. Il dévale l’esplanade sans croiser quiconque, traverse le pont qui surplombe la Seine à toute allure, emprunte la Porte Maillot et se dirige vers la Place de l’Etoile. Il entame le rond-point quand subitement un flic zombite le pointe du doigt en sifflant et lui demande de s’arrêter, du moins à en deviner l’espèce de jargon incompréhensible utilisé par le flic et à la manière dont il fait tournoyer sa bite comme une matraque. Nicolas, fait mine de ralentir en s’approchant du flic zombite et tire avec son NERF. Le flic est atteint au ventre et statufié instantanément. « Ça MARCHE putain !!! » hurle-t-il !
Galvanisé, il dévale à fond l’avenue des Champs Elysées jusqu’à Concorde où il décide de passer par les quais. Il ira plus vite, c’est en pente. Il sourit, confiant, excité par l’adrénaline. Il ne lâche pas l’accélérateur et se dit que Paris est juste magnifique lorsqu’elle est déserte. Il quitte les quais et vire à gauche vers Bastille et ralentit, roulant au pas. A environ 300 mètres, il distingue une espèce de barricade où des zombites militaires montent la garde. C’est du sérieux, les mecs sont armés et pas avec des pistolets à eau. Ils sont 4 à bloquer l’accès au Faubourg Saint-Antoine et il se dit que, raisonnablement, il ne peut pas traverser la Seine la nage avec sa trottinette et ses armes sur lui. En plus l’eau est froide. Il n’y a plus de bateaux, les propriétaires ont pris la fuite par la Seine pour rejoindre les villes flottantes sécurisées situées en haute mer. Astucieux quand tu sais que les zombites ne savent pas nager. Il replie sa trottinette qui n’a plus que 15% de batterie. Il n’est pas très loin de Ledru-Rollin, le quartier où réside Claire, mais il doit se débarrasser de ces 4 zombites pour passer. Il se rapproche discrètement et silencieusement de la barricade en longeant les voitures qui sont stationnées le long des trottoirs. Il est accroupi, ses genoux craquent. Il les voit, ils sont à une vingtaine de mètres. 3 « discutent » entre eux tout en bouffant une main. Le 4ème monte la garde du côté opposé. Nicolas sait qu’il n’aura pas droit à l’erreur, il doit les dézinguer tous les 4. Il pose sa trottinette, prend son NERF et vérifie le volume de whisky à l’intérieur : il ne reste que la moitié. Il rampe à couvert pour se rapprocher à une douzaine de mètres. Les 3 zombites ne l’ont pas vus. Il saisit deux ballons grenades, les embrasse tour à tour et les jette en direction des zombites. Le premier ballon atterrit dans la tête d’un zombite qui s’immobilise, le deuxième atterrit sur un bout de barricade et explose faisant jaillir le whisky sur un deuxième zombite qui se fige . Le troisième zombite beugle en saisissant son arme et recherche l’origine des tirs. Nicolas, caché derrière une CITROEN AMI de 2ème génération, se redresse, tenant fermement son NERF et balance une giclée dans la tête du zombite l’immobilisant à son tour. Le pare-brise de l’AMI vole en éclat, le 4ème zombite a repéré Nicolas et tire dans sa direction avec son Famas, bien réel et qui n’envoie pas du Whisky mais du plomb. Le mur derrière lui est criblé de balles et le zombite s’approche dangereusement du véhicule sans cesser de tirer. L’AMI se transforme rapidement en passoire, l’air devient chaud et irrespirable. Nicolas, collé au sol, assourdi par le vacarme des tirs incessants, saisit ses deux pistolets en plastique alors que le zombite se situe à 3 mètres de lui. Nicolas entend le cliquetis, le chargeur du Famas est vide. Il roule sur lui-même, fait une cabriole et tire. Il atteint le zombite à la poitrine, ce dernier se transformant en statue.
Essoufflé, Nicolas se relève difficilement et fait le point. Son NERF et un pistolet sont vides. Il lui reste son dernier pistolet et 3 ballons grenades. Sans perdre de temps, il allume sa trottinette et file direction Ledru-Rollin en faisant le tour de la place de la Bastille. Il roule à tombeau ouvert sur le Faubourg Saint Antoine et distingue sur la droite deux zombites qui se précipitent vers lui, bite en avant, pour lui barrer la route. Il leur jette un ballon grenade qui les allume au niveau des jambes et poursuit sa route. Il arrive enfin à Ledru-Rollin. Il laisse sa trottinette et se dirige en courant vers l’immeuble de Claire. Il passe devant une boulangerie fermée et se regarde dans la glace. Il a du sang qui coule de la bouche, est recouvert de poussière, ses vêtements sont déchirés mais il est vivant. Il se présente à l’entrée et appuie sur l’interphone en jetant des regards inquiets à gauche et à droite. En attendant, il se tire une giclée de whisky dans la bouche avec le pistolet, histoire de se requinquer. Pas de réponse. Il rappuie longuement … patiente. Un drone Amazon passe juste au-dessus de l’immeuble.
– « Oui ? «
Collé à l’interphone, Nicolas parle
– « Claire, c’est Nico. Ouvre-moi vite s’il te plait, je t’en prie, c’est important ! »
– « Mais comment es-tu venu ? Que veux-tu ? »
– « Ouvre-moi ! »
Les secondes passent qu’il ressent comme une éternité et la porte s’ouvre enfin. Nicolas s’y engouffre et grimpe les deux étages à pas de géant. Il frappe à la porte. Il voit que Claire l’observe à travers l’œil de Judas, déverrouille et ouvre la porte. Nicolas pénètre dans l’appartement et s’effondre, exténué. « Referme la porte ! Vite ! »
Elle referme la porte à double tour.
– « Tu pues le whisky putain ! T’es bourré ou quoi ? Et pourquoi tu saignes ? »
– « Je vais t’expliquer »
– « J’ai arrêté les tenues d’infirmières avec toi Nico, il faut te soigner là … »
– « Je suis venu te voir car … c’est important. »
Inquiète, distante et pourtant curieuse, elle le fixe sévèrement en croisant les bras :
– « Alors ? Qu’est-ce qui se passe ? »
– « Tu veux un whisky ? » lance-t-il .
– » Tu ne vas pas tout de même pas t’attendre à ce que je sorte : « Juste un doigt » », rétorque-t-elle. Ils ont toujours été fans des Nuls et de l’humour absurde en général.
– « Je ne rigole pas Claire, crois-moi ! Le whisky te sauvera. Il peut tous nous sauver ! »
Nicolas lui explique ce qui s’est passé : l’intrusion du zombite chez lui, sa défense victorieuse avec le whisky, sa traversée de Paris. Claire l’écoute attentivement, son regard est perçant. Elle a toujours eu un regard éloquent qui lui permettait d’être comprise et d’éviter de trop parler.
– « Ok. Va prendre une douche, je vais préparer des pâtes ».
Nicolas file sous la douche et il y reste quelques bonnes minutes. Il sort et remet ses vêtements qui ne sont pas loin de ressembler à des guenilles. Il rejoint Claire dans la cuisine. Elle lui tend un verre de vin rouge, ils trinquent en silence.
– « On fait quoi maintenant ? Il va falloir trouver une solution pour annoncer la nouvelle à tout le monde. Si ton truc de whisky a marché pour toi, ça peut marcher pour d’autres, non ? » dit-elle.
– « Le Gouvernement a mis en place un numéro vert, comme d’habitude, mais j’y crois moyen. Je ne suis pas certain que ce soit la solution pour annoncer la nouvelle ».
Ils boivent leur vin en silence alors qu’un drone frôle la fenêtre. « C’est un vrai ballet aérien, les gens ici se font livrer tout et n’importe quoi tout le temps, ça n’arrête pas » lance Claire, soulée.
– « Hey Claire ! J’ai une idée ! Si on utilisait les drones pour balancer du whisky sur les zombites ? Pas besoin de se risquer à aller dehors, les drones sont contrôlables à distance et disposent de caméras. Ça peut le faire, non ? ».
– « C’est pas faux. On fait quoi ? ».
– « On se filme » dit-il.
– Taquine, elle sourit : « Tu es infernal !!! »
– « Mais non, je ne parlais pas de ça. On se filme en train de mettre le whisky dans les pistolets à eau, on trouve un zombite, je lui fais son affaire et tu filmes la scène. Je mets la vidéo sur YouTube et on l’adresse à l’AFP qui relaiera. C’est une source officielle ».
– « Ok Rambo ! C’est dangereux mais jouable ».
– « Mais on ne va pas sortir maintenant, il fait nuit. Mieux vaut attendre demain. » lance-t-il. « Tu peux m’héberger pour la nuit ? »
– Claire hésite, elle le connaît. « Oui, le canapé est confortable »
– « Je sais. Merci » lance-t-il en faisant un clin d’œil.
Pendant que Claire s’affaire en cuisine, Nicolas s’installe sur le canapé, la tête en arrière, apaisé, il ferme les yeux et s’endort.
Générique de fin : « Out And In » de Sonic Youth