WHISKY OR NOT WHISKY #50 / DERAPAGES

Librement inspirée du roman Cadres Noirs de Pierre Lemaitre, la série Dérapages est actuellement diffusée par Arte. Réalisés par Ziad Doueiri (à qui l’on doit l’excellent Baron Noir), les six épisodes nous transportent au cœur d’un véritable thriller social. Le genre devient alors le prétexte à un sujet sociétal brulant : quid des classes populaires, et de l’archétype du prolétaire, face à la machine néo-libérale qui broie les individus ?

Le chômage – et ses conséquences – sont ici le thème central qui parcourent Dérapages. Eric Cantona y incarne Alain Delambre, un ancien DRH anéanti par six années sans emploi. Marié, père de deux enfants, Alain Delambre a 57 ans. Propriétaire menacé d’expulsion, il vit dans un appartement insalubre dont il ne peut plus payer le crédit.

Un jour, sa femme Nicole (Suzanne Clément) lui fait part d’une annonce qui recherche un chargé de recrutement. Bien qu’il ne soit pas forcément le candidat idéal, Alain se retrouve étrangement parmi un choix restreint de profils pour satisfaire le poste.

Toutefois, les dés sont pipés : il est question d’embaucher quelqu’un qui fera le sale travail, en mettant en place un plan de licenciement massif dans une filiale de Beauvais. Or, et si nous parlons de dés, c’est bien parce qu’un jeu de rôles est mis en place par une multinationale du nom d’Exxia.

Pour juger des compétences de ce futur cadre, les candidats sont conviés à une simulation de prise d’otages. En étant mis à rude épreuve dans ce jeu de rôles, l’objectif est bien de tester la résistance des employés au sein d’un plan de « sauvegarde ». Or, le chargé de recrutement a pour mission de sélectionner ces mêmes employés dans ce type de plan social. C’est alors qu’Alain se montre prêt à tout pour retrouver un emploi…

Véritable procès contre le système et le managment déshumanisé, Dérapages est une série didactique au rythme haletant. Découpée en deux parties bien distinctes, cette co-production bénéficie d’une réalisation filmique à la qualité certaine, proche d’un thriller de cinéma. Servie par des acteurs impeccables, cette première saison propulse un Eric Cantona crédible dans une partition qui lui colle à la peau. En brisant le « quatrième mur » de manière assumée, l’ancien footballeur semble sincère et parvient à nous prendre aux tripes.

Une fois n’est pas coutume, Zaid Doueiri a su s’entourer d’acteurs et d’actrices qui sont de vraies « tronches » de nos séries françaises. Nous notons d’ailleurs que la plupart tournent principalement dans les séries Canal Plus, de Baron Noir (encore lui) à Vernon Subutex. En matière de « tronches », je pense notamment à Alex Lutz qui s’en tire à merveille dans un rôle à contre-emploi : avec brio, ce dernier incarne un jeune PDG du CAC 40.

De manière générale, le casting est pompeux. En plus d’un Gustave Kervern très bien choisi, il y a donc Suzanne Clément qui reste talentueuse. Rappelons que la comédienne a tourné dans plusieurs films de Xavier Dolan, dont le cultissime Laurence Anyways avec Melvin Poupaud.

Le scénario, plus que jamais, interroge les dérives du monde libéral, qui marginalise les plus démunis sitôt qu’ils ne sont plus rentables. Cette même histoire met en exergue deux mondes, deux univers qui ne se comprennent plus. De façon assez explicite, l’intrigue met en avant l’exacerbation des inégalités.

D’un côté, il y a une large majorité de pauvres, des classes populaires qui souffrent d’un pacte social duquel ils sortent perdants. De l’autre, il y a cet entre-soi de riches, des élites qui ferment les yeux sur notre monde tout en gardant les mains propres.

Entre les deux subsiste une guerre. Un conflit social qui dépasse et va bien au-delà du mépris de classe. Dans ce combat, Alain Delambre tente de s’ériger en symbole (autant que faire se peut). En signifiant la révolte du prolétariat, notre protagoniste questionne le concept de morale et les valeurs d’une personne.

En fin de compte, Dérapages est une série qui nous parle de la violence, au sens propre comme au sens figuré. Dans une société qui n’a de cesse de creuser des disparités sociales, ce sont bien les plus faibles qui s’entretuent dans une violence sans nom. Ceux qui mettent en scène la violence d’une prise d’otages sont ceux-là mêmes qui dirigent le monde. Ils demeurent les marionnettistes d’une autre forme de violence, plus insidieuse et invisible, qui abusent des pantins ou des pions que nous sommes. Cette violence porte un nom, et c’est bien elle qui nous tue. Elle s’appelle capitalisme.

J.M.

Dérapages de Ziad Doueiri est actuellement diffusé sur Arte et disponible en replay sur Arte TV. La série est également disponible en intégralité sur YouTube.

 

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