Rencontre avec le producteur de Blood Machines

Voir sur grand écran des amazones de l’espace qui s’envolent au son de la B.O. déchaînée de Carpenter Brut : quoi qu’il arrive, l’année ciné 2020 n’aura pas été fichue.

On t’a déjà parlé de Blood Machines ; on t’en reparle et pas seulement parce qu’il ressort en salles à la fin du mois, que c’est une expérience folle et un OVNI dans la production ciné française (ce qui fait déjà pas mal de bonnes raisons). Cette fois, on embarque dans la machine pour rencontrer Alexis Perrin, son producteur, qui a bien voulu nous en dire plus sur ce projet hors normes.

Charlie : Bravo pour Blood Machines. Quelle claque ! Quels ont été les retours de l’exploitation salles ?

Alexis : Merci, les retours ont été très positifs. Nous avons dépassé les 4 000 entrées sans budget communication ni attaché de presse, ce qui est enthousiasmant compte tenu du nombre de projections (environ 200). Le public semble ravi et y retourne. Des salles continuent de demander le film par ci par là. De nombreux spectateurs ne trouvent pas de salles près de chez eux, mais c’est le jeu de l’exploitation de ce profil de films qui reste « niche », surtout compte tenu du format (50 minutes).

Le film de Gaspar Noé « Lux Aeterna » vient de sortir dans le même format que « Blood Machines » (50 minutes). Un signe des temps ? En tout cas, les deux films feraient une double séance d’enfer.

C : Au pays de Jules Verne et Méliès, le fantastique semble étonnamment compliqué à amener au cinéma ! Tu étais motivé par ce défi ? Peut-être étais-tu déjà familier avec l’univers fou de Seth Ickerman.

A : J’ai grandi avec la science-fiction, un poster de 2001 dans ma chambre dès douze ans et des bouquins de K. Dick et Asimov par ci par là, et bien sûr Blade Runner comme film de chevet sans oublier les autres (Alien et compagnie). Donc forcément, à un moment donné, je me devais de m’y frotter comme producteur. L’évidence a eu lieu quand j’ai rencontré Seth Ickerman avant Turbo Killer et qu’ils m’ont présénté leur projet de premier long-métrage « Ickerman ». Compte tenu de mon expérience chez BUF et de leur ambition visuelle, cela a naturellement matché avec eux en termes d’exigence artistique, même si on connaît tous la difficulté de produire ce type de films en France.

C : Vous vous êtes tournés vers Kickstarter, où la campagne fut un vrai succès puisque vous avez doublé l’objectif initial de 50 000 € grâce à près de 2000 contributeurs. Dans quelle mesure ce financement participatif a influé sur la préparation du tournage ?

A : On a même fait deux campagnes Kickstarter ! La première en décembre 2016 qui a atteint 185 000 Euros au lieu de 75 000 – sans ce résultat, le film n’aurait jamais eu lieu. Et la seconde en mai 2019 pour finaliser la post-production. Donc au final, près de 400 000 euros ont été levés auprès de ces contributeurs. D’autres ont participé au financement en dehors des campagnes Kickstarter.

blood machines

C : AOW est un blog culturel et avant tout musical, alors j’aimerais en savoir plus sur la collaboration avec Carpenter Brut, le compositeur de la bande originale. Dans le making-of, on voit qu’il fournissait certaines bandes-sons en avance, de la musique « de fond vert » comme il dit !

A : Difficile d’en parler à la place des réalisateurs, mais la musique de fond vert est davantage arrivée au cours de la post-production. Les réalisateurs avaient déjà une idée de la musique avant le tournage – ils avaient mis quelques références sur leur animatique, mais ce n’était pas composé par Carpenter Brut. Ce dernier a commencé à vraiment s’impliquer en post-production sauf que les plans étaient encore sur fonds verts : il fallait avoir de l’imagination, même si l’animatique était là pour aider.

blood machines

C : À propos du making-of, je crois bien que c’est la première fois que j’en vois un au cinéma. Était-il prévu dès le départ de le projeter à la suite du film ?

A : En effet, c’est rare mais il y a quand même une culture qui se développe avec le succès du documentaire sur le Dune non produit de Jodorowsky [Jodorowsky’s Dune, ndlr]. Lost in La Mancha est une forme aussi de film making-of, non ? [En 2003 est sorti un documentaire retraçant le tournage catastrophique du film avorté de Terry Gilliam, L’Homme qui tua Don Quichotte avec Jean Rochefort et Johnny Depp. Gilliam finira son film 15 ans plus tard, avec Jonathan Pryce et Adam Driver, ndlr]

Blood Machines

En tout cas, on a vite su en filmant les coulisses de notre tournage qu’on avait une matière intéressante. Ce fut un tournage « sportif » compte tenu des enjeux techniques, de langue et budgétaires. L’ambition du film a nécessité une abnégation constante des équipes, et il a fallu effectuer un « casting » malin au niveau des chefs de postes. Le désir de science-fiction a fait la différence : on avait tous énormément envie d’y arriver pour marquer le coup. Le making-of parle au final beaucoup du tournage mais il ne faut pas oublier le travail des sociétés VFX qui a ensuite duré des mois. Mais bon, ce n’est pas très divertissant de filmer des graphistes derrière des ordinateurs. En tout cas, quand CGR a exprimé un intérêt pour distribuer le film, il nous a semblé naturel de greffer ce making-of pour que les spectateurs en aient pour leur argent et que les journalistes comprennent aussi l’aventure. J’espère qu’il aura aussi une valeur pédagogique pour l’avenir de la science-fiction en France – et qu’il donnera envie aux passionnés de se lancer dans ce type d’aventure.

A : Pour terminer, je voulais revenir sur les effets visuels du film qui sont ahurissants. Nous avons tous les deux travaillé à BUF, l’un des plus anciens studios du genre en France. Je constate qu’après toutes ces années, et contrairement aux Oscars, Goyas, BAFTA …, il n’y a toujours pas de César des VFX. (Une pétition a été lancée dans ce sens.)

Te réjouis-tu que le secteur reçoive plus de reconnaissance, au-delà des évènements spécialisés tels que le PIDS d’Enghien ?

A : On est encore loin du résultat. Cette tribune parle davantage d’animation que d’effets numériques. Le souci reste la diversité des films à univers/VFX que nous produisons en France – cela reste une niche. Pour le César des VFX, il faudrait inclure les productions étrangères sur lesquelles travaillent nos sociétés françaises car si on devait isoler 5-6 films par an, on serait quand même limité au niveau nominations. Notre culture reste avant tout basée sur les films d’auteur et les comédies, mais cela peut changer si on laisse à une dizaine de jeunes réalisateurs l’opportunité de faire leurs petits films de genre low-budget. A l’heure actuelle, on préfère laisser filer nos jeunes talents – à l’image de Samuel Bodin (Marianne) qui fait son premier long-métrage avec Lionsgate et le chef-opérateur de Blood Machines. Mais je reste convaincu qu’on peut garder ces talents en France sans pour autant faire des films de plateforme. Je n’ai rien contre les films de plateforme – au contraire, ils prennent des risques – mais j’aurais été curieux de voir le résultat d’un Balle Perdue dans les salles françaises cet été.

 

Merci Alexis pour ton retour. On attend de pied ferme une nouvelle sortie pour Blood Machines, en Blu-Ray/DVD ou en diffusion TV/streaming.

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