La résilience par le sport : rencontre avec Hind Bensari, réalisatrice de la mini-série inspirante “Fight For”

La cinéaste retrace le combat de femmes pour vivre et se dépasser.

Portée par la triple championne du monde de karaté Laurence Fischer, l’association Fight For Dignity accompagne plusieurs femmes victimes de violences conjugales et sexuelles. Depuis 4 ans, elle collabore avec La Maison des Femmes, lieu d’accueil et d’écoute, pour offrir à ces combattantes un espace pour se reconstruire.

Laurence Fischer

Par la pratique du karaté, et parce que la vie ne nous offre pas toujours les armes nécessaires, Fight For Dignity soutient ces battantes tout au long de leur processus de reconstruction. J’ai eu la chance de m’entretenir avec la réalisatrice Hind Bensari pour évoquer sa mini-série Fight For autour du travail de l’association et des parcours de résilience des femmes qui suivent ces séances de karaté.

Hind Bensari
Hind Bensari

AOW : Comment a démarré l’idée de cette mini-série où chaque épisode suit une femme différente ?

Hind Bensari : Ce sont mes producteurs qui m’ont proposé l’idée. Ils avaient rencontré Laurence Fischer et ont apprécié sa personnalité très sympathique. Ils ont trouvé son combat honorable. Leur société de production a une ligne éditoriale très féministe et engagée, et moi aussi, donc ils m’ont parlé de leur rencontre. À partir de là, j’ai poussé les recherches pour voir ce qui se passait à La Maison des Femmes, s’il y avait d’autres personnages à rencontrer là-bas. Très vite, on s’est orienté vers Laurence, son combat pour monter son association et les femmes qu’elle accueillait.

Pour les participantes aux séances, j’imagine que c’était plutôt difficile de se livrer pour raconter leur traumatisme.

HB : J’ai d’abord décidé de suivre moi-même les séances de karaté. Sans caméra, pour d’abord prendre conscience de ce qui se passait dans mon corps et dans la salle. Petit à petit, j’ai commencé à me présenter, à dire aux femmes pourquoi j’étais là et ce qu’on aimerait faire. Les femmes ne voulaient pas toutes témoigner devant la caméra. Pour celles qui ont accepté, on les a suivi pendant environ un an. Au terme du tournage, l’une d’elles a finalement refusé d’apparaître à l’écran. Éthiquement, légalement, nous avons donc décidé de la doubler par une actrice. Il y a eu plusieurs parcours différents.

Ce jeu par une comédienne est effectivement mentionné à la fin de l’épisode en question. Cela montre bien le rapport étroit de ton travail avec le réel.

HB : Oui, et cela m’a fait comprendre que ces chemins de reconstruction ne sont pas linéaires. On croit avoir franchi une étape, réussir à parler librement, et ensuite on retombe. Je pense que c’est important de le dire pour les personnes concernées, et surtout pour leurs proches qui seraient découragés car il y a eu un retour en arrière. En fait, c’est normal, ça arrive tout le temps. On ne monte pas en flèche, même si on aimerait bien. Il y a des moments où l’on nie son histoire pour se protéger.

Il y a des peurs, des réflexes qui reviennent. Ce n’est pas grave, il faut continuer à se battre.

Il faut savourer chaque victoire. Dans ton premier documentaire en 2013, le moyen-métrage 475: Break the Silence, tu retraçais l’affaire Amina Filali, une adolescente marocaine qui s’était suicidée après son mariage avec l’homme qui l’avait violée. L’article 475 du code pénal indiquait à l’époque qu’un violeur ne pouvait pas être poursuivi s’il avait épousé sa victime. Ton film a participé à un mouvement qui a permis d’abroger cette loi.

HB : C’était très fort. J’avais 25 ans à l’époque, j’avais pris juste 6 mois de congé pour m’engager civiquement, socialement. J’arrivais au bon moment car je n’étais pas la seule à travailler sur ce sujet, à m’insurger contre cette loi. La combinaison de nos forces a permis qu’en un an seulement, la loi a été abrogée. Ça a fait que je ne suis jamais revenu à mon day job. Forcément, c’est très inspirant de voir l’impact que la société peut avoir quand on se mobilise et qu’on travaille ensemble. Ça n’a pas toujours été comme ça depuis [rires] mais c’était une très belle expérience à vivre.

475 a été diffusé sur 2M, l’une des plus grandes chaînes de télé publiques au Maroc.

HB : J’avais prévu une diffusion en autodidacte sur le Net, avec une campagne que j’avais préparée en amont. J’avais fait plein de petites vidéos pour donner envie aux gens de voir le film en ligne. Cette diffusion télé a changé la donne : en une semaine, on a fait 15 000 vues. Sur la chaîne nationale 2M, on a eu 2,6 millions de téléspectateurs en prime time. La diffusion a coïncidé avec le vote au Parlement, ça a lancé un changement de société qui venait vraiment du peuple et pas l’inverse, ce qui est quand même assez rare au Maroc. Et ça a lancé ma carrière aussi [rires].

Bravo pour ce coup d’éclat. Un réalisateur qui avait soutenu ton projet est Nabil Ayouch (Much Loved, Haut et Fort en compétition à Cannes l’an dernier). As-tu envie de tourner un jour de la fiction ?

HB : C’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup. Je vais m’y consacrer cette année. C’est un exercice que je n’ai pas encore tenté, j’attends d’avoir quelque chose à raconter de manière métaphorique. Le type de fiction que j’aime est bizarrement à l’inverse du documentaire. Pour raconter des histoires de “vraies” personnes qui font de “vraies” choses dans un monde qu’on connaît, je trouve toujours que le documentaire, quand il est bien fait, est plus fort. Car il n’y a pas de direction, on se demande comment il ou elle a pu réellement rencontrer cette personne… Par contre, la fiction qui me plaît est soit fantastique, soit vraiment “auteur·e” mais poussée à un point invraisemblable où ça nous touche émotionnellement, physiquement. Et là, je pense que je commence à toucher des zones sensibles où je peux tenter l’expérience.

Merci Hind et encore bravo pour Fight For. La série reste accessible sur YouTube ?

HB : Oui, elle a été diffusée sur la chaîne L’Équipe l’an dernier, mais le but pour nous est vraiment la diffusion sur le Net, puis la reprise par les réseaux associatifs et culturels. On veut garder la série ouverte en ligne pour toujours [rires], pour informer un maximum de personnes de l’existence de cette association. Je ne sais pas si on peut appeler ça une thérapie mais, au sens large, on souhaite montrer des manières de se sentir mieux en bougeant son corps. C’est vraiment ce message qu’on veut faire passer : les Maisons des Femmes existent, on peut être accompagnée.

Retrouvez ici les 8 épisodes de Fight For. En cette journée internationale des droits des femmes, rappelons-nous que la lutte pour l’égalité nous concerne toutes et tous. Si vous êtes témoin et/ou victime de violence, vous pouvez contacter par téléphone le 3919 pour les femmes et le 119 pour les enfants.

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