Si tu savais combien je souffre de te voir aussi loin. Derrière mes lunettes aux verres flous, derrière ces immenses fenêtres, je te vois, briller sous un soleil éclatant, comme un diamant brut qui ne peut se polir.
Je suis là, impuissante devant tant de beauté spontanée, moi qui ai tant travaillé pour être celle que je suis. Élève modèle, physique irréprochable, mes parents ont fait de moi le reflet de la perfection, l’enfant glaçant. Je garde de mes jeunes jours des souvenirs bâclés, des cours de piano après des leçons particulières de littérature, beaucoup de livres et de manuels pour si peu de jouets et de sourires.
Et toi, tu te dresses dans un tableau aux mille défauts, armé d’une simple planche en bois avec des roulettes, le monde t’appartient et tient dans le creux de tes mains. Tu refais l’Histoire avec quelques shots de whisky, tu danses sous la Lune comme si demain était le cadet de tes soucis.
Je te regarde de cette bibliothèque terne, enfermée dans cette prison de chiffres et de lettres apres vingt-cinq ans de lutte silencieuse. Tu ne vois que le reflet du soleil, derrière lesquels je me cache habilement pour que tu ne voies pas la laideur et la transparence de ma personne.
J’aurais voulu que tu me remarques. J’aurais voulu que tu m’aimes et qu’on puisse refaire le monde avec mes envolées lyriques et ta bouteille de Jack Daniel’s. J’aurais voulu que tu m’emmènes dans les profondeurs de la luxure, que tu me fasses pêcher sans que jamais je ne le regrette.
Mais rien que de regarder est une désobéissance. Je t’appartiens un peu, à l’ombre de mes révisions, dans le secret de mes heures perdues.