La Belle vie est un roman de Jay McInerney qui parle de la crise de la quarantaine, mais pas que. La belle vie se déroule dans les mois qui suivent les attentats du 11 septembre 2001 et analyse assez finement l’effet que ce changement de paradigme a eu sur les new-yorkais au travers de la vie bouleversée de deux couples qui cherchent une forme d’échappatoire dans l’adultère.
Avant toutes choses, je profite de cette chronique pour dissiper un malentendu. Bien des lecteurs se fourvoient en prenant Jay McInerney pour le Bret Easton Ellis de la Côte Est. Certes cette alliance tire ses racines de la proximité réelle des deux écrivains qui ont sorti un roman de jeunesse à succès à la même époque et se sont retrouvés associés dans le Rat Pack, trio de jeunes pousses prometteuses à l’orée des clinquantes années 80. A leurs débuts déjà, les différences de style et de perception de la société entre Ellis et McInerney étaient perceptibles. Il y avait chez Jay une possibilité de rédemption, une justification des actes dans les sentiments totalement absente chez Brett Easton Ellis. Le premier roman de BEE, Moins que Zéro, était le constat clinique de la faillite d’un certain modèle social upper middle class californien. Les ados désœuvrés, passaient leur journée à zoner, se droguer et tromper leur ennui dans des jeux de plus en plus extrêmes et violents, le tout sur fonds de MTV. Partant sur des bases manifestement similaires, mais se déroulant à New York et non plus à LA, Bright Light, Big City est en réalité un roman beaucoup plus intimiste, écrit à la deuxième personne et dont l’épilogue révèle que les causes profondes de la fuite en avant désespérée et auto-destructrice du narrateur ne sont pas si égoïste et nihilistes que ça.
Au fil des romans suivants, les écarts entre les auteurs se creusent et on serait bien en mal de voir dans l’oeuvre de Jay McInerney un quelconque reflet de celle de Brett Ellis. Chaque auteur a développé sont propre univers de papier. Ils sont amis, ils sont de la même génération et dépeignent chacun à sa manière la société américaine et ses travers, mais c’est aussi ce que font d’autre excellents auteurs américains. Alors arrêtez de vouloir comparer ces deux-là, vous ne vous feriez que du mal!
Ceci étant dit, la Belle Vie est un roman qui prend la suite d’un autre roman de Jay McInerney, 30 ans et des poussières. Ce livre racontait les hauts et les bas d’un couple dans le bruissant et clinquant Manhattan des années 80. Les deux héros, Russel et Corinne étaient ballottés par des sentiments et des aspirations contraires, se séparant puis se retrouvant dans un épilogue en forme de « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ».
Quatorze ans plus tard, on retrouve le couple Russel et Corinne marié, rangé avec deux enfants. C’est surtout Corinne que va suivre l’auteur. Corinne et ses doutes, ses inquiétudes dans lesquelles tout parent actif vivant dans une grande ville se retrouve un petit peu. Le lecteur découvre également un nouveau personnage, Luke, ancien banquier qui a quitté la finance et cherche à donner un sens à sa vie. Il a une famille qui plairait bien à Brett Easton Ellis. Une femme belle qui ne vit que pour les mondanités, une fille pré-adolescente qui dévale la pente des désillusions adolescentes, victime des diktats d’une société de consommation et d’apparences qui ne fait pas trop de cadeaux. Le lendemain, c’est le 11 septembre, et le surlendemain, Corinne et Luke se croisent et sont irrémédiablement attirés l’un vers l’autre, comme si les événements, les doutes sur la survie du monde occidental qu’ils avaient jusque là connu et aussi le naufrage de leurs familles respectives les emmenaient vers un destin commun, une nouvelle vie.
« Après vingt ans de cohabitation, ils étaient devenus experts dans l’art de nier l’évidence, et devenir parent n’avait fait que renforcer leur talent pour le balayage des rancoeurs sous le tapis de la routine domestique ». (Jay McInerney – La belle vie)
La Belle Vie est un roman de société qui prend, aujourd’hui en France, une coloration particulière. Léchant nos propres plaies post attentats, on avait un petit peu oublié comment une situation proche avait été vécue par les américains. Peut-être que ce drame immonde a été éclipsé de nos esprits par la réaction de George W Bush et les conséquences qu’elle a eu sur l’équilibre au Moyen Orient et l’émergence de l’EI…. mais il est bon de se remémorer, il y a quinze ans aux Etats-Unis, la réaction a cette agression inédite. Qu’au milieu des ruines naisse une idylle entre deux êtres qui prennent conscience des échecs de leurs couples respectifs n’est pas totalement dénué de fondement. La Belle Vie ne révolutionne pas le genre et on trouvera même que les pics narratifs sont assez convenus et la fin prévisible, mais chez Jay, ce qui compte n’est pas tant la fin que les moyens. Jay McInerney a ce talent des auteurs américains pour donner à des scènes anodines et vues mille fois une coloration et une profondeur particulière. Il sait aussi placer de petites phrases pleines de profondeur qui font merveille dans le contexte. En synthèse, La Belle Vie est un roman qu’on peut lire sans avoir au préalable lu 30 ans et des poussières. C’est un livre qui parle de la crise de la quarantaine, de la différence entre amour et désir, amour et passion et du sens des responsabilités des adultes en général et des parents en particuliers, quand ils doivent faire le choix entre leur plaisir personnel et l’épanouissement de leur progéniture. L’un dans l’autre, c’est un excellent roman de société, comme tous les livres écrits par Jay McInerney.