Earl Thompson est un écrivain américain trop méconnu en France. Avec une carrière aussi fulgurante que sa mort, d’une rupture d’anévrisme en 1978 à l’âge de 47 ans, il n’a pas eu la possibilité de connaitre la popularité de ses glorieux contemporains. Pourtant, le talent était là. Grâce à l’excellente maison d’édition française Monsieur Toussaint Louverture, nous pouvons découvrir ses écrits, et notamment son premier roman intitulé Un jardin de sable.
Ce livre raconte les 12 premières années de Jack, dans l’Amérique profonde, pendant la Grande Dépression. Orphelin de père et abandonné par une mère avide d’une existence meilleure, il est élevé par ses grands-parents dans la misère de l’aide sociale. Sans cesse chahuté d’un cabanon insalubre à un cloaque malfamé, d’une cave lugubre à une décharge dégoûtante, il tente de se faire une place dans une société qui ne veut pas de lui. Il y découvre la violence, la sexualité, l’alcool et les amitiés aussi intéressées qu’éphémères.
« Je fais partie de ces gens sur qui j’écris et ne ferai jamais vraiment partie des autres. Je fais partie de ceux qui ont été effrayés si jeunes par la violence que le simple fait de ne pas être mort est pour nous une victoire. »
Lorsque Wilma, sa mère, qu’il idolâtre à l’encontre de toute logique, réapparait dans sa vie, il pense à tort que ses problèmes sont derrière lui. Celle-ci lui promet la grande vie, l’opulence et le bonheur, mais Jacky va rapidement déchanter. Relations toxiques, prostitution, alcoolisme, drogue, elle ne fait que l’entrainer plus loin encore dans les bas-fonds de la classe pauvre américaine de l’entre-deux guerres. Son quotidien est constitué de bagarres, de vêtements élimés, d’ongles sales, de chaussures trouées, de draps souillés, de mendiants, de putes, de vomissures et de désillusions.
C’est le roman d’un apprentissage de la vie dans un milieu que les politiques ont oublié et tentent de faire taire à tout prix. Les personnages sont la poussière que l’on cache sous le tapis. Earl Thompson ne mâche pas ses mots. Son écriture est directe, crue, parfois même dérangeante. Mais elle décrit la réalité d’une époque sans l’enrober d’une ouate apaisante qui serait discordante et malvenue. La vie, dans ce milieu, pue la transpiration et la haine, l’haleine de whisky frelaté, le sexe sale et le sang coagulé.
« Klaxons. Crissements de pneus. Geignements d’une femme qui hurle à la mort dans les vapeurs d’alcool et la fumée, dévidant un écheveau d’injustice pour en faire une pelote de haine. »
On reconnait, dans la plume de Earl Thompson, la filiation avec le grand Charles Bukowski. Sa manière d’évoquer l’ivresse et le désir est sans équivoque ni demi-mesure. Les personnages masculins sont, pour la plupart, de violents pervers. Les filles et femmes ne valent pas beaucoup mieux d’ailleurs et cela rappelle justement Le journal d’un vieux dégueulasse. Mais il y a en fil rouge du récit une dimension sociale que l’on ne peut pas nier. Les familles disloquées se déplacent de contrées en contrées afin de glaner du travail. Les temps sont durs, les patrons aussi et les négociations tout autant. Ce n’est pas sans rappeler Les raisins de la colère de John Steinbeck. Je n’ai aucune preuve de ce que j’avance mais je suis prêt à parier que ces 2 auteurs devaient être de grandes sources d’inspiration pour Earl Thompson.
Tantôt nous sommes à la recherche de lectures légères et distrayantes. Tantôt nous avons besoin de mettre les mains dans le cambouis, d’être bousculés. La littérature ne peut pas se cantonner à la seule fonction de loisir. Sa vocation est aussi de nous montrer la réalité des choses, nous faire réfléchir à nos dérives, nous mettre en face de notre propre miroir. Un jardin de sable de Earl Thompson est, en cela, un véritable chef-d’œuvre. Comme tous les bouquins publiés par Monsieur Toussaint Louverture d’ailleurs. Si, dans une brocante ou un marché du livre, en chinant, vous tombez sur cette maison d’édition, achetez sans négocier. C’est une valeur sûre.