Connemara de Nicolas Mathieu

Avec Connemara, Nicolas Mathieu livre une chronique sociale extrêmement réaliste et puissante, un roman du milieu de vie sur le temps qui passe, le destin, la fatalité, dans lequel chacun pourra se reconnaître.

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Bonjour et bienvenue dans « un dernier livre avant l’apocalypse nucléaire », la chronique littéraire bimensuelle pour bien choisir ses lectures en attendant la mort dans d’atroces souffrances.

La force de dissuasion a été déclenchée et vous ne savez plus quoi lire ?

Les missiles SATAN sont en route et vous êtes en quête d’un bon bouquin ?

Il pleut des ogives et vous avez besoin d’une lecture solide, puissante, et réconfortante ?

Pas de panique, nous sommes là pour ça. Cette semaine :  Connemara de Nicolas Mathieu.

Si vous vous attendiez comme moi à découvrir un livre sur l’Irlande, détrompez-vous : Connemara fait en effet partie de ces romans dont le titre n’a rien à voir avec l’œuvre, tel Jérusalem d’Alan Moore qui ne résout absolument pas le conflit israélo-palestinien, Papillon d’Henri Charrière qui ne traite pas de l’élevage des lépidoptères, ou Elle m’appelait Miette de Loana qui ne vous apprendra malheureusement rien sur l’art de la boulange. Mensonges !

Ici donc, point de vertes collines, de lacs gorgés de saumons, de poètes roux à la harpe et de leprechauns farceurs, mais : les Vosges.

Vous me direz, Les Vosges et le Connemara, c’est un peu le même combat. Surtout que, mine de rien, je viens quand même de donner du Connemara une drôle d’image … d’Épinal.

Épinal, où se passe d’ailleurs principalement l’intrigue du nouveau roman de Nicolas Mathieu (Goncourt 2018 pour Leurs enfants après eux), qui nous offre cette fois encore une chronique sociale extrêmement réaliste et puissante, un roman du quotidien qui regorge d’une quantité de détails très vrais et dans lesquels tout le monde trouvera matière à se reconnaître (oui oui, même toi là-bas dans le fond, je t’assure).

Deux personnages principaux, Hélène et Christophe, qui se sont croisés adolescents dans les années quatre-vingt-dix, se retrouvent à la quarantaine. Le récit entremêle habilement l’histoire de leurs vies actuelles avec des scènes de leurs adolescences respectives. L’auteur donne à voir deux trajectoires différentes, deux destins qui sont partis du même lieu, ont suivi des chemins différents, mais finissent par se rejoindre, et par se confronter. Et ça marche fort.

Nicolas Mathieu
Nicolas Mathieu par © Astrid di Crollalanza

Car Connemara est un roman sur le temps qui passe, le destin, la fatalité, dans lequel chacun pourra se retrouver au moins ponctuellement. L’identification aux personnages est inévitable, même sans avoir encore atteint l’âge fatidique des questionnements : où sont passés mes rêves d’enfants ? Qu’est devenue l’insouciance qui berçait ma jeunesse ? Quel est le poids de mes racines sur ma vie présente ? à quelle heure on fait le goûter ?

Quand l’adulte en « midlife crisis » se retourne sur l’ado qu’il était, le regarde-t-il plutôt avec : tendresse, nostalgie, envie, dépit, rage, regrets, remords, autres : ………………. ? (cochez la case correspondante).

Être enfant, c’est regarder son âge au fond d’un verre à la cantine, faire des poteaux de but avec des pulls et des blousons, et croire que la vie est belle. Mais que reste-t-il de tout cela 25 ans plus tard ?

Hier encore, tu t’apprêtais à rentrer en CE2 dans la classe de monsieur Mauger, à t’asseoir « au premier rang parce que tu as des lunettes » et à revoir les copains après deux mois de grandes vacances, et puis tout à coup tu te retrouves à quarante ans avec un crédit immobilier, un break familial, un boulot à plein temps qui ne te laisse plus de place pour rien d’autre, à courir à Bricomarché le samedi matin pour acheter des chevilles Molly, des équerres en acier et un foret béton de 8 pour réparer l’étagère de la chambre d’amis vite fait avant d’aller tondre la pelouse parce qu’ils annoncent de la pluie en fin d’aprém… À quel moment ça a vrillé ?

Quarante ans, c’est pile l’âge où tu te dis que tu ne veux pas finir comme tes parents, et où tu te dis que tu ne veux pas que tes enfants finissent comme toi. Des fois, y a des bifurcations qui se perdent.

Vivre, finalement, c’est passer son temps à essayer de le tuer pour oublier que « le temps est assassin ».

(… Puis soudain dans un éclair de lucidité j’ai trouvé la force de prendre mes vitamines magiques à base de poussières d’espoir et j’ai redressé la barre de cette chronique …)

À l’heure où Annie Ernaux reçoit le Prix Nobel de Littérature, on pourra déceler dans Connemara une filiation naturelle avec l’œuvre de la native de Lillebonne : l’importance du contexte social très fort, la figure du transfuge de classe, la honte de ses propres parents, l’éloignement de ses origines, la honte d’avoir eu honte et la trahison de son milieu sont autant de thèmes qui transpercent Connemara d’un bout à l’autre, mais sous la forme de la fiction teintée d’authenticité.

Alors bien sûr, le lecteur en quête d’aventures (autres qu’extraconjugales, évidemment) en sera pour ses frais, mais pour peu qu’il veuille bien se laisser porter par la plume de l’auteur, il se verra embarqué dans cette histoire d’amour entre adultes un peu paumés (et quand les adultes errent, il arrive qu’ils se trompent).

En un(e) (quête de) sens, Conemarra traite de la « réussite » sous toutes ses formes (sociale, professionnelle, amoureuse, sportive…), par le biais notamment du hockey sur glace, une véritable institution dans l’Est, ou de celui des cabinets de consulting, que Mathieu décrit avec talent et non sans une pointe ironie, vocabulaire technique à l’appui. Alors qu’on le sait tous, ce n’est pas moi qui le dis, c’est Alain Damasio dans la chanson Bora vocal : « le consulting c’est de la merde » (à  1’51).

C’est important, la musique, au cours d’une existence, et comme nous le rappelle Connemara, certains morceaux sont de véritables marqueurs des grandes étapes de nos vies.

Car j’ai menti en début de chronique juste pour faire un bon mot : il y a quand même un lien avec le Connemara, que je vous laisse découvrir.

Un livre à lire en attendant l’apocalypse nucléaire ; mais tardez pas trop à le commencer quand même…

Nicolas Mathieu*****

Nicolas Mathieu, Connemara, 396 pages, Éditions Actes Sud.

Allez l’acheter chez votre libraire du village. Et s’il n’y a plus de librairie, c’est simple : ouvrez-en une.

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