John le Carré, l’Espion qui aimait les livres

L’Espion qui aimait les livres est l’ultime roman de John le Carré. Dans cette œuvre posthume qui vient clore une carrière brillante, l’auteur relate une fois encore les tourments et les doutes de ses personnages sur fond de services secrets et d’espionnage en Angleterre.

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Bonjour et bienvenue dans « un dernier livre avant l’apocalypse nucléaire », la chronique littéraire bimensuelle pour bien choisir ses lectures en attendant la mort dans d’atroces souffrances.

L’apocalypse nucléaire arrive et vous ne savez plus quoi lire ?

L’escalade de la violence conduira bientôt à l’anéantissement de toute vie sur Terre, et vous êtes en quête d’un bon bouquin ?

L’horloge de la fin du monde est à minuit moins une seconde et vous ressentez le besoin d’une lecture solide, puissante, et réconfortante ?

Pas de panique, nous sommes là pour ça. Cette semaine : l’Espion qui aimait les livres de John le Carré.

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Ô tristesse infinie : l’Espion qui aimait les livres est le vingt-sixième et ultime roman de son auteur, le Carré étant parti rejoindre losanges au ciel le 12 décembre 2020 à près de quatre-vingt-dix ans.

Pas de noyade pour celui qui avait pourtant fini Cornouaillais, mais plutôt une vilaine pneumonie, qui a laissé le Carré sur le carreau.

Autant vous dire que quand j’ai commencé l’Espion qui aimait les livres, j’ai ressenti un pincement au cœur, comme un petit frisson de savoir que je me retrouvais dans le dernier Carré.

(Le lecteur en manque pourra toujours se consoler en lisant et relisant ses vingt-cinq romans précédents, la plupart excellents, les autres encore bien meilleurs.)

John le Carré chic et tout sourire, en noir et blanc, marchant la canne à la main avec son chien
John le Carré

Bien que le Carré soit entré dans un Cercle – celui des poètes disparus – il n’était pas pour autant l’Homme de Vitruve, mais celui de Sa Gracieuse Majesté.

Homme engagé, honnête, fidèle à ses convictions, citoyen britannique féru de culture germanique, le Carré aura finalement toujours été, je crois qu’on peut le dire, un Angle droit.

Ex-membre du MI-5 devenu écrivain dans les années soixante parce que sa couverture avait été compromise, John le Carré s’était taillé une solide réputation d’auteur, quelque part entre Michael le Cube et Shawn le Tesseract.

Les espions c’est comme les livres, c’est plus efficace quand ils ont une bonne couverture.

(Surtout pour un agent dormant).

Dire que le Carré était un maître, ce serait rester à la surface des choses.

John, c’était du talent au Carré. On pourrait sans aucun mal qualifier le Carré d’as.

(Décidément, entre Mariah la diva de noël, Jim et Isabelle les acteurs, ou encore Pierre le mathématicien, le talent coule à flots dans cette famille. À l’exception de Raymond qui n’est, comme chacun le sait, point Carré).

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Je crois vous avoir déjà dit que je ne lisais jamais le résumé en quatrième de couverture ?

(Oh que oui, de nombreuses fois. Beaucoup trop souvent à mon goût. C’est comme les gens qui n’ont pas la télé : ils se sentent obligés de le dire pour se rendre intéressants.)

Et bien c’est d’autant plus vrai pour les bouquins de John le Carré.

Lire John le Carré, c’est comme s’asseoir à l’arrière d’une Rolls avec chauffeur : c’est hyper confortable et classe, et on n’a qu’à se laisser porter même si on ne connait pas la destination.

(Pas ouf, la métaphore, hein … Je vous ai déjà dit que j’avais pas la télé ?)

Avec lui plus qu’avec aucun autre, j’appréciais de simplement me laisser porter par sa plume sans rien connaître de l’histoire;  son talent de conteur, ses descriptions, son brio pour tisser des intrigues qui s’entremêlent mais qui restent claires me suffisaient amplement, le sujet n’ayant qu’une importance très relative. Au moins au début.

Ouvrir un de ses romans, c’était à coup sûr retrouver mes repères, comme un endroit familier dans lequel on se sent bien et on a envie de rester, et ça c’était rassurant :

  • Un style raffiné et élégant,
  • Une intrigue brillante qui ne se laisse pas pénétrer facilement et prend son temps pour se développer,
  • Un rythme lent, des phrases longues, peu de scènes d’action,
  • Une science innée de l’écriture des dialogues,
  • Un humour subtil, une ironie toute britiche, et un flegme non moins britannique,
  • Des personnages nuancés, en proie aux doutes sur le sens de leur engagement et les conséquences de leurs actes, exposés à la trahison,
  • Des relations délicates avec la figure du père (qu’il soit biologique ou métaphorique),
  • Des figures féminines fortes et marquantes,
  • Une fin en général pessimiste, ou tout du moins un sentiment diffus de s’être fait berner,
  • Et surtout, un combat pour le triomphe des idées progressistes, un engagement social important, la barre à gauche, des personnages qui se battent pour des idéaux et des valeurs qui redonnent de l’espoir.

L’Espion qui aimait les livres ne déroge pas à la règle. Dans ce récit, John le Carré développe deux histoires en parallèle : Celle de Stewart Proctor, à Londres, qui enquête sur une possible fuite dans les services secrets anglais, et celle de Julian, ancien employé de la City reconverti libraire de province, qui se lie d’amitié avec un homme plus âgé qui a connu son défunt père et qui l’aide à élaborer une bibliothèque idéale, « La République de la Littérature ».

Et j’en resterais là pour ne pas vous spoiler. Lisez-le, tout simplement.

(Ça c’est une belle technique de crevard pour avoir moins de travail. Fainéant, va.)

« On ne peut pas dire que nous ayons vraiment changé le cours de l’histoire de l’humanité, hein ? Moi, j’ai plutôt le sentiment, soit dit entre espions, que j’aurais été plus utile en directeur de club de jeunes ».

 

La postface de Nick Cornwell (son fils) nous apprend que ce n’est pas tant un roman de « fond de tiroir », qui aurait été fini à la va-vite par un Ghostwriter et édité pour de basses questions mercantiles, mais plutôt un texte que John le Carré s’était refusé à publier de son vivant, après l’avoir pourtant travaillé et retravaillé à plusieurs reprises, et qu’il aurait fait promettre à son fils de publier à sa mort.

C’est le Carré dégradé, comme on dit dans les salons de coiffures.

On ne sait pas si c’est vrai, ou si, le Carré, carrément,  ment. Mais c’est assez plaisant de penser que sa volonté n’a pas été contre-Carré(e).

Merci pour tout, très cher Monsieur Le Carré, espion qui aimait les livres, et qui les faisait aimer.

Vous avez votre place dans ma République de la Littérature.

Couverture française du livre aux Editions Seuil - on y voit la propriété de Silverview

Un livre à lire avant l’Apocalypse nucléaire ; mais tardez pas trop à le commencer quand même…

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L’Espion qui aimait les livres, John le Carré, Trad. Isabelle Perrin, Éditions du Seuil, 2022

Allez l’acheter chez votre libraire du village. Et s’il n’y a plus de librairie, c’est simple : ouvrez-en une.

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