Interférences est une comédie romantique d’anticipation qui explore avec humour les effets d’un partage total et sans limites des émotions au sein du couple.
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Interférences est du Connie Willis pur jus.
Comment ça, tu ne connais pas Connie, auteure américaine de romans SF à succès, ayant récolté un nombre incalculable de prix Locus, Nebula et Hugo, parfois les trois la même année ?
Le style de Willis se caractérise par un jeu plutôt sobre et peu expressif dans des rôles de gros bras qui sauvent le monde avec humour dans le cinéma d’action des années 80 et 90 eeeeeeeehhhhh merde je me suis trompé de Willis. Yippee-ki-yay, motherfucker !
Le style de Willis, CONNIE Willis donc, se caractérise par une maîtrise exceptionnelle (et parfois abusive, soyons honnête) du cliffhanger de fin de chapitre, de la petite révélation, de la surprise qui te fait tourner la page plus vite qu’Arturo Brachetti ne change de tenue (paye ta réf’ de boomer).
Ce suspense est également créé par une action extrêmement délayée, qui donne paradoxalement au lecteur le sentiment d’un rythme effréné. Tout est prétexte à créer de la frustration, et à placer ses personnages dans une tension permanente, comme si le moindre élément du quotidien était une question de vie ou de mort : famille invasive, téléphone qui n’arrête pas de sonner, collègues intrusifs… Efficacité garantie sur le lecteur. Préparez-vous à accumuler du retard de sommeil.
Mais ce serait un peu injuste de la réduire uniquement à cela.
Connie Willis, c’est d’abord une passion pour l’Histoire avec un grand H.
Plusieurs de ses romans utilisent le voyage temporel comme prétexte pour raconter des faits historiques directement de l’intérieur, en prenant le parti de raconter le quotidien des gens lors de ces évènements plutôt que l’évènement historique en lui même.
Ajoutez à cela une passion pour l’Angleterre, une attirance pour les romans de l’époque Victorienne, une bonne connaissance de Shakespeare (en témoignent les nombreuses références et citations qui émaillent son œuvre), ainsi qu’une certaine dose de cet humour que d’aucuns qualifient de « britiche », et vous aurez déjà une base solide.
Ses romans sont en général très détaillés et minutieux, très fouillés sur leur sujet, et regorgent d’anecdotes insolites et de faits divers méconnus qui titillent la curiosité du lecteur. Et celui-ci ne fait pas exception.
Dans le monde d’Interférences, il est possible pour un couple de se soumettre à une opération cérébrale (l’AEC) permettant à chacun de ressentir les émotions de l’autre. Opération censée décupler les sentiments amoureux et magnifier la puissance de la relation. SPOILER : ÇA TOURNE MAL.
Ici l’enjeu est peut-être moins fort ou plus futile (l’amour, tout de même !) que dans certains de ses autres romans que je vous conseille également :
– Le Grand Livre, ou l’épidémie de peste qui a décimé la moitié de l’Europe au Moyen-âge comme si vous y étiez
– Le diptyque Blackout / All Clear, une mine d’information sur la 2nde Guerre mondiale côté anglais, et notamment sur la vie à Londres pendant le Blitz
– Sans parler du Chien, un hommage aux romans de l’époque Victorienne et à l’hilarant Trois hommes dans un bateau de Jérôme K. Jérôme
– Passage, qui ne traite ni plus ni moins que de LA MORT
, mais elle aborde tout de même l’excès de communication et d’information qui noie les êtres humains, la toute puissance des réseaux sociaux, et l’omniprésence des smartphones dans notre vie.
Il y a de très belles scènes (je pense notamment à celles dans le théâtre ou dans la bibliothèque), et beaucoup de fun-facts plus ou moins prouvés sur la communication non verbale.
On n’est pas dans de la hard-SF mais plutôt dans une comédie romantique d’anticipation. J’en veux pour preuve la justification amusante de l’élément perturbateur qui créé le conflit de son intrigue (tant de périphrases pour éviter de vous spoiler…) qu’on peinera à qualifier de scientifique mais qui personnellement m’a bien plu et ne m’a pas sorti de l’histoire.
Ce livre n’a pas eu forcément eu très bonne presse à sa sortie en 2017. Mon amour aveugle pour Madame Willis ne m’empêche pas de reconnaître les défauts du bouquin (personnages caricaturaux, suspense créé artificiellement, application de techniques ou de recettes d’écriture pour maintenir le lecteur en haleine) mais je relativise tout ça en comparaison de la joie que m’a procuré ce livre.
Au final, la balance est largement positive pour sauver Willis.
Un livre à lire avant l’Apocalypse nucléaire ; mais tardez pas trop à le commencer quand même…
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Interférences (Crosstalk), Connie Willis, éd. Bragelonne, 2017, Trad. Leslie Damant-Jeandel, et J’ai lu, 2019,736 p.
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