Les Oscars ont décidé de couronner Everything, Everywhere All At Once, choix il faut bien l’admettre, assez audacieux. En effet si on passe en revue tous les palmarès de cette cérémonie, ils sont la plupart du temps très consensuels surtout en ce qui concerne le trophée suprême.
Bon j’ai vu le film il y a deux, trois mois, il ne m’en reste que quelques souvenirs vagues, essentiellement les citations de In The Mood for Love et un long plan fixe assez fascinant il faut bien le reconnaître sur deux cailloux dont on a le sentiment de comprendre leur dialogue.
Pas désagréable, pas mal d’idées intéressantes, mais ces trucs de dimensions parallèles avec en sous-texte la question : quelle vie aurais-je eue dans d’autres circonstances ?… déjà (re)vu. Il faut croire que c’est la nouvelle poule aux œufs d’or hollywoodienne.
Cependant ce sont trois autres films qui m’ont marqué ces dernières semaines dont j’avais envie de parler. Et deux parmi ceux-là ont cruellement manqué à la cérémonie des Oscars et sont rentrés bredouilles.
Pourtant les trois films en question sont autant de déclarations d’amour fiévreuses au cinéma et plus précisément à l’art de la mise-en-scène. Je veux parler de Coupez !, Babylon et The Fabelmans.
Coupez ! est la dernière œuvre de Hazanavicius,ce qui m’a moi-même surpris, n’ étant pas un grand fan de son travail. Ok, là je me suis fait cueillir. Pas un chef-d’oeuvre mais un film-comédie bien fichu, honnête et touchant en même temps que malin jouant de la mise en abyme façon mille-feuilles. La première demie-heure nous suivons un tournage tout foutraque en équipe restreinte. On y comprend pas grand chose ; des dialogues absurdes ou répétés, des regards interrogateurs vers le hors-champ, des déplacements insensés, des comportements irrationnels, des acteurs absents au moment de rentrer en scène…. Un réalisateur de seconde zone (joué par Romain Duris) survolté, habité par sa vision…. qu’il essaie de concrétiser contre vents et marées. Le plateau se fait attaquer par des zombies. Là on se dit tour à tour que c’est du grand n’importe quoi ou c’est normal c’est du cinéma de série Z.
S’ensuit un flashback sur la préproduction et surtout une dernière partie où tout prend sens de manière assez jubilatoire. On comprend que le tournage de la première partie EST le film, qui doit être tourné en plan-séquence, commande pour un obscur site web asiatique. Mais surtout on revient au tournage du tournage et ainsi on voit les hors-champs nous révélant les causes de toutes les bizzareries qui nous interrogeaient dans la première partie. Avec un final où Hazanavicius montre sa pleine affection pour tous les protagonistes qui se plient en quatre, tentent de remédier à toutes les galères pour « fabriquer » un film. Vous n ‘y comprenez rien ? C’est normal, le mieux c’est encore de regarder Coupez !
The Fabelmans de Spielberg imprime sur pellicule le même amour de la mise-en-scène. Qu’on apprécie le réalisateur ou qu’on le déteste, il n’en reste pas moins un des plus influents depuis quarante-cinq ans. Pour ma part je préfère le Spielberg deuxième période, celui d’après 2000 disons. Alors quand ce dernier nous offre un autoportrait (de son enfance jusqu’à son entrée dans les Studios) on ne fait pas la fine bouche.
Ainsi on voit le jeune Steven, déchiré entre sa famille et son rêve de faire du cinéma, faire face aux problèmes conjugaux de ses parents (révélés par ses petits films de famille) à l’antisémitisme mais aussi et surtout faire ses premières armes en amateur. Nous le voyons en apprenti-réalisateur pallier son manque de moyens par des idées géniales ou du bricolage de fortune. Il faut dire que ses envies de superproductions, de grand spectacle sont déjà présentes. Dans The Fabelmans nous voyons beaucoup des futures et célèbres œuvres du metteur en scène, bien sûr pas directement, mais bien là, en germe, par petites touches impressionnistes des évocations, des questionnements, des situations de la vie courante… passionnant.
Cerise sur le gâteau, A la fin Spielberg rend un vibrant et inattendu hommage (même si indirect) à … David Lynch (?!?) . Alors celle-là je dois bien admettre que je ne l’avais pas vu venir et encore une fois, je n’ai pas boudé mon plaisir.
Avec Babylon, la dernière œuvre de Damien Chazelle on peut faire le lien avec Hazanavicius puisqu’il reprend le sujet de The Artist à savoir la fin de l’âge d’or du cinéma muet et sa transition pas si aisée au parlant.
Cependant on est plus proche d’une réalisation scorcesienne, très enlevée, hyper dynamique à la Casino ou Le Loup de Wall Strret. Une grande fresque de trois heures qui déroule sans temps mort un pan majeur de l’histoire du cinéma à travers le destin de trois personnages dont les fabuleux Brad Pitt et Margot Robbie. Ce qu’on voit essentiellement c’est le Hollywood qui est encore tout empreint de magie et de folie, où tout reste à faire, qui ne connaît pas d’autre limite que celles de l’envie et de la créativité, on dépense sans compter, les fêtes sont orgiaques. Cela juste avant de prendre le mur du son dans la gueule, juste avant que cela devienne une industrie comme les autres qui par essence a comme objectif premier la rentabilité et donc totalement sous contrôle, limitant au maximum les risques.
Babylon n’est pas si éloigné des romans de James Ellroy et notamment L.A. Confidential. Autour des plateaux, les rêves des jeunes starlettes qui rêvent de s’envoler mais qui le plus souvent se crashent violemment, loin, très loin d’Hollywood Boulevard.
Les putes, les politiques, les gangsters, les journalistes, les financiers, arrosés d’alcool, de drogues voire de coups de feu, tout le monde veut faire partie d’ Hollywood., tout le monde veut sa part du gâteau. Les petites affaires glauques de toutes sortes viennent se greffer comme des sangsues.
Chazelle termine par un tour de force – même si on n’est plus trop surpris, il avait fait un peu la même chose lors de la sublime fin de La La Land – avec un montage hallucinant où Manny Torres interprété par Diego Calva, (la révélation du film) qui est au bout du bout, vidé, essoré, rentre dans une salle de cinéma, assiste à la projection de Chantons Sous La Pluie.. Et la magie d’opérer, la machine à rêve fonctionne toujours. Manny, donc, dans une vision psychédélique façon 2001 voit défiler toutes les petites morts, les mutations, les renaissances du cinéma dans les décennies à venir… hypnotisant.
Trois beaux films, trois déclarations d’amour au cinéma et en particulier à la mise-en-scène. Ce qui interroge d’autant plus à un moment où les réalisateurs se font doucement supplanter par les programmeurs, les décors par des fonds verts et où les films fusionnent inéluctablement avec les jeux vidéo. Je parle là essentiellement des grosses productions hollywoodiennes.
Ajouté à cela les plateformes qui changent le paradigme. Forcément tout cela, s’il n’inquiète pas, au moins questionne.
Mais il ne faut pas avoir peur. Comme Chazelle nous le signifie à la fin de Babylon, ce n’est pas la mort du cinéma mais son énième mue et il en ressortira changé. Changé mais pas mort.
« Viva le Cinema ! »