Mêlant les corps et les temporalités, ce premier film grec nous fait chavirer. Comme un remake de « Scènes de ménages » par Christopher Nolan.
« Behind closed doors, no one knows what is going on inside the house. » 1990 : Arianna rêve d’une vie avec son chéri mais leur relation passionnée cache un secret. 2010 : Ilias et Kelly se demandent si leur histoire peut survivre à la fin de leurs études. 2020 : les amoureux Manos et Leonidas combattent la pandémie et les stéréotypes.
Dans Tromperie, Philip Roth écrivait : « She’s words – and try as I will, I cannot fuck words! » Eh bien, il avait tort et la réponse tient un mot : « Dissolved ». Nos six héros en huis clos se rapprochent et se séparent dans un élan à la fois intellectuel et sexuel. Les stupéfiantes scènes de baise inaugurales (que ne renierait pas notre Petit Cochon) ne sont pas là uniquement pour appâter le chaland. Elles se prolongent dans des plans-séquences magistraux d’une dizaine de minutes où la parole redouble d’intensité. Car la jouissance de nos couples n’est pas le point d’orgue mais bien le point de départ d’une enquête verbale. Qui restera ? Qui partira ?
La narration par blocs (qui est aussi la limite du film) livre ses secousses et te révèle à petit feu le lien entre les trois histoires, qui n’est pas que thématique. Entre inné et acquis, dans leurs mots, dans leur lit, les comédiens tous excellents te font vivre la dissolution d’un couple en temps réel, avec l’impact d’une allégorie fatidique et une bonne dose d’amour et d’humour pour traverser les âges. Disponible à la demande sur Vimeo.
Tout juste revenu de Barcelone où il a présenté Dissolved dans un festival, le réalisateur Thodoris Vournas répond à nos questions depuis Athènes :
AOW : Comment est né Dissolved ?
Thodoris Vournas : J’ai eu l’idée en avril 2020 pendant le premier confinement, puis le scénario a été écrit par Alexios Kotsoris [qui joue aussi un second rôle crucial dans le film]. Ce moment de pause a permis d’avoir du temps et de réfléchir à des idées qui me trottaient dans la tête. Tout ça était assez expérimental, mais bon : You live once. Do this. Le tournage a commencé dès juillet car nous avions peur d’être reconfinés en septembre. Tous les dialogues étaient écrits pour les trois couples principaux. Nous avons beaucoup répété en amont car leurs scènes sont des plans-séquences [une séquence composée d’un seul et unique plan, sans montage]. Le premier jour de tournage était compliqué, puis nous avons apprivoisé le processus de mieux en mieux. On a fait 5 ou 6 prises pour chaque séquence. J’avais déjà travaillé avec chacun des acteurs dans le passé. Ils sont tous uniques et apportent beaucoup au film. Certains personnages secondaires ont eux été inclus le jour même du tournage. Je voulais garder des surprises, une certaine fraîcheur.
AOW : Comment avez-vous préparé les scènes de sexe dans Dissolved ?
Thodoris Vournas : Les acteurs étaient à l’aise sur le tournage. Ils n’étaient pas intimidés par la quantité de nudité ou de sexe. Le plus important est que j’ai une vraie alchimie avec Lydia mon assistante réalisatrice et Depi mon « assistant chorégraphe ». Nous sommes des amis proches et cela nous a permis de rendre tout cela le plus facile possible pour les acteurs. Nous n’avons pas traité ces scènes d’une manière spéciale. It wasn’t a big deal. L’idée était de démarrer le film avec elles et laisser le film évoluer à partir de là. Ces scènes ne sont pas le « climax » du film, mais son point de départ. Pour nous, c’était les scènes faciles à tourner car, comme tu as vu, elles n’ont pas de dialogue. Quand on voulait avancer dans le planning de tournage, on filmait une scène de sexe [rires]. Je vais te donner une anecdote : la première scène du film où le couple fait l’amour sur la table est une idée de Maria Thoma, l’actrice qui joue Arianna. Le couple commence sur le lit, puis Maria m’a dit : « On devrait essayer autre chose. Tu as pensé à le faire sur la table ? » J’ai répondu « …OK » [rires] Maria est une super actrice et une vraie amie, toujours à la recherche du meilleur sur un projet.
AOW : Tu fais aussi beaucoup de théâtre. Quels sont les aspects que tu aimes dans cet art ?
Thodoris Vournas : Au théâtre, parfois tu dois accepter ce qui se passe. Les acteurs découvrent sans cesse de nouvelles choses, mais le metteur en scène pas forcément. Quand la pièce est prête à être jouée, elle est entre les mains des acteurs. Au cinéma, le réalisateur peut faire le film exactement à sa manière. C’est lui qui va trouver de nouvelles choses, encore et encore, dans la salle de montage. Je mets en scène beaucoup de pièces de théâtre, et c’est un super moyen de découvrir des choses sur moi-même. Je veux te dire quelque chose. Il y a une dizaine d’années j’étais déprimé et en grave surpoids, je faisais 4 fois mon poids actuel, au point où je ne pouvais plus marcher. Faire ces films et ces projets m’a permis d’abandonner mes peurs. Maintenant je me sens à l’aise pour demander des choses aux comédiens, pour voir les choses arriver. Mon évolution en tant que personne a accompagné ma démarche de réalisateur. Dissolved est mon premier long-métrage, il y a de très bonnes choses dedans mais aussi des erreurs. C’est le premier d’une longue série de projets dont je me sens fier. J’ai aussi tourné Role of the Game, un documentaire sur une association de comédiens grecs professionnels qui organise son tournoi de football depuis 50 ans maintenant.
Thodoris Vournas : Merci d’avoir trouvé notre projet et de le faire vivre en France. J’ai appris le français à l’école et j’étais même bilingue. Je suis assez fan des soap operas français, j’ai suivi religieusement Les Mystères de l’amour. Dans les années 90, Hélène et les garçons était hyper populaire ici ! Quand j’ai découvert que la série avait continué après toutes ces années, ça m’a donné envie de la rattraper. J’ai tout bingé pendant le confinement, même si je ne comprenais pas tout. Ma dévotion à ce show fait partie de ma personnalité.
ευχαριστώ Θοδωρής !