La maison des feuilles est un roman labyrinthique époustouflant. Une œuvre de littérature totale, savante et originale, qui marque durablement le lecteur.
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Bonjour et bienvenue dans « un dernier livre avant l’apocalypse nucléaire »
Cette semaine : la maison des feuilles de Mark Z. Danielewski
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Aujourd’hui, je vais vous parler d’un livre qui m’a profondément marqué, et transformé à vie.
En effet il se trouve que je me le suis laissé tomber sur le pied, ses 3,7 kg m’ont causé 21 jours d’ITT et il est probable que je ne remarche plus jamais comme avant. (HA. HA. HA). Mais ce n’est pas (que) pour ça qu’il m’a bouleversé.
C’est un livre démesuré, fou, complexe, et fascinant jusqu’à l’obsession.
Ce livre, c’est – faux suspense parce que vous avez déjà lu le titre du billet – la maison des feuilles, de Mark Z. Danielewski.
Attention : on n’entre pas dans la maison des feuilles comme on entre dans un moulin.
(Par contre on en ressort comme d’un moulin. À poivre. C’est-à-dire moulu, mais avec l’heureuse sensation d’avoir enfin relevé le plat fade et sans saveur d’une existence morne et banale.)
« Ceci n’est pas pour vous ».
Ce n’est pas moi qui le dit, c’est la phrase en exergue. Une mise en garde qui s’apparente plutôt à de la provocation, et que j’ai prise comme un défi personnel.
Il faut bien admettre que ça ne va pas forcément être simple.
Même si pas forcément simple ne veut pas dire désagréable. Au contraire.
Déjà, physiquement : il faut être prêt à manipuler l’ouvrage dans tous les sens, à faire des allers-retours, parfois à mettre plusieurs marque-pages. Autant dire que ce n’est pas le genre de bouquin qu’on emmène à la plage. D’ailleurs je déteste emmener un bouquin à la plage : pourquoi s’encombrer d’une plage, quand on dispose déjà d’un bon livre ?
« Un livre n’a rien à faire sur la plage, sauf si c’est la plage arrière de la voiture »
Bernard Tapie, Salon automobile de Bangkok, 11 septembre 2001.
Ensuite, psychiquement. La maison des feuilles est un livre à tiroirs, un genre de matriochkas, un « livreception ». Il contient de nombreux niveaux de lecture, des strates de récits empilés, plusieurs livres dans le livre. Ça demande un peu de concentration, au minimum.
Je ne vais ici rien déflorer de l’histoire, je vous laisse la découvrir (si vous me lisez des fois, vous commencez à avoir l’habitude. Ce n’est pas que j’ai la flemme de raconter, c’est que je masque mon incompétence en faisant passer ça pour une caractéristique de mon style. Escroc level 9000). Moins vous en savez, mieux c’est. Je vous dirais uniquement que c’est une histoire d’horreur psychologique basée sur un found footage (« images trouvées » en bon français. Ou « 발견된 영상 » en coréen) et traitée sur différents niveaux d’interprétation suivant le narrateur. Les thèmes principaux sont la famille, l’obsession, la folie, l’enfermement, l’amour. Et bien évidemment, au centre de l’intrigue se trouve la maison du titre, aux propriétés physiques ébouriffantes.
Si vous voulez découvrir le mystérieux Navidson Project, connaître Delial, et savoir où est l’endroit le plus chouette du monde : foncez.
La maison des feuilles se veut une sorte de livre complet, total et définitif, qui contient à la fois des récits, des sources, des annexes, des citations, un glossaire, des photos, des schémas, et des notes de bas de page. Beaucoup de notes de bas de page. Énormément de notes de bas de page. Et même des notes de milieu de page. Voire de haut de page. Des notes de pages entières. Sur plusieurs pages. Le récit se déroule autant dans le corps de texte que dans les notes de bas de pages.
Le livre peut ainsi se concevoir comme un immense jeu de piste qui mélange réalité et fiction, une sorte d’escape-game à domicile, avec des indices à trouver – ou non – un peu partout. Et si vous ressentez le besoin de partager votre expérience, sachez que vous n’êtes pas seul.e.s : il existe sur internet quantité de forum qui traitent de ses mystères.
Mais, pas de panique, il peut aussi se lire de façon plus classique. Je veux dire, on n’a pas besoin de percevoir tous les détails et toutes les références pour l’apprécier. Chaque lecteur est comme un degré supplémentaire ajouté à cette œuvre. La lecture que vous en ferez donnera un autre livre, un livre différent à chaque fois, qui est encore paradoxalement, la maison des feuilles.
Non seulement l’histoire est labyrinthique, mais la mise en page elle-même reflète le récit. Le livre se transforme ainsi au gré de la narration dans une mise en abyme vertigineuse qui a dû demander un travail colossal à l’auteur (et au traducteur (et à l’éditeur (et à l’imprimeur))).
Mais j’entends déjà les critiques. J’en ai moi-même de sévères parmi mes gens. La maison des feuilles serait de la « branlette intellectuelle creuse pour bobo qui se la pète » selon une personne proche de moi que je ne peux pas citer sinon elle va encore me priver de rapports sexuels pendant 2 semaines.
(Attention : cet exercice de citation périlleux a été réalisé par un professionnel : À NE PAS SE REPRODUIRE À LA MAISON.)
À ceux-là je répondrais, que … que … hem … c’est … euh … je veux dire… tiens, ça se couvre un peu on dirait là, non ? … comme je dis souvent, un bon froid sec c’est toujours mieux que de la pluie … enfin … bon bah OK d’accord là tout de suite j’ai pas de répartie, mais tu vas voir ta gueule toute à l’heure !!!
Je dirais simplement que ce livre a l’immense mérite d’essayer des formes nouvelles de narration. C’est ça la littérature, merde. Et si cette forme marche sur vous, alors là, c’est le jackpot !
Enfin, le livre est un objet magnifique, grand format, belle couverture plastifiée, édition en couleurs, travail de mise en forme exceptionnel, le tout pour la modique somme de (à lire dans ta tête avec la voix de Pierre Bellemare) vingt-sept €uros et cinquante centimes. C’est donné pour une telle qualité.
Cependant, je conçois que cela représente une somme ; en conséquence, j’annonce officiellement que je tiens mon propre exemplaire personnel à disposition des lecteurs de ce site qui m’en feront la demande expresse (sous réserve de : fournir vos trois derniers bulletins de salaires, transmettre une caution, faire appel à deux garants, procéder à un état des lieux ensemble ; Ou autrement, de taguer « Emmanuel Macron est une grosse endive molle » sur les murs de vos villes, photos à l’appui. Merci).
Je vous laisse, je dois aller le relire.
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Un livre à lire avant l’Apocalypse nucléaire ; mais tardez pas trop à le commencer quand même…
La maison des Feuilles, Mark Z. Danielewski, 2000, 702 p., Éd. M. Toussaint l’Ouverture, 2022, trad. Claro
Allez l’acheter chez votre libraire du village. Et s’il n’y a plus de librairie, c’est simple : ouvrez-en une.